La famille reunie

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      Le cimetière est en dehors de la ville, au bord d'une falaise. C'est un endroit très calme et par chance, il n'y a personne. Je ne m'arrête de courir qu'à l'entrée, devant la grille. Je suis essoufflée et encore bouleversée de tout ce qui s'est passé aujourd'hui : la mort d'Aurelius, la voraline, l'attaque du pêcheur. C'est vraiment une horrible journée. Je ne sais pas ce que je vais trouver dans ce cimetière, j'espère y trouver du réconfort car c'est tout ce dont j'ai besoin maintenant. Avant de rentrer, j'arrache quelques petites fleurs violettes qui poussaient à côté, puis j'entre. Il s'agit du seul cimetière de la ville, je le connais bien car deux de mes grands parents sont enterrés ici. Je n'ai jamais connu ma grand-mère et mon grand-père est mort trois ou quatre ans après les jeux de Finnick. Depuis ce jour, nous venions souvent le dimanche avec maman déposer des fleurs sur leur tombe. J'avance jusqu'à ces dernières, elles sont inchangées par rapport à la dernière fois où je suis venue. Je dépose une fleur sur chacune d'elles. Je remarque alors qu'à côté, deux nouvelles croix ont été installées. Ce sont de simples croix bricolées avec de pauvres roseaux. Il n'y a pas non plus de tombe, ni de petit bol : cela veut dire que ces deux morts n'ont pas eu d'enterrements. C'est une tradition chez nous, à chaque enterrement, on plante une croix en bois enroulée dans de la corde que la famille du défunt doit avoir nouée en son honneur. On dépose aussi sur chaque tombe un petit bol rempli d'eau fraîche.

« Maman, pourquoi est ce qu'on laisse un bol ? On n'en aura plus après à la maison, avais-je demandé à ma mère après l'enterrement de notre grand-père.
- C'est une tradition de notre district Violet, répondit ma mère. Les anciens pensaient qu'une fois enterrés, les âmes des morts se réveillaient et buvaient l'eau du bol pour retrouver leur force, pour avoir assez de force pour commencer leur nouvelle vie dans l'au-delà. Quand ils avaient fini de boire, les âmes se dirigeaient vers la falaise pour sauter dans l'eau et ainsi elles s'échappaient dans l'océan et retrouvaient leur liberté. »

Quand ma mère m'avait raconté cette légende, j'avais trouvé ça ridicule. Je ne voyais pas pourquoi les âmes voudraient partir de nos corps, mais aujourd'hui je crois que je commence à comprendre. Je m'avance vers la falaise. Pour respecter la légende, le cimetière n'est muré que de trois côtés, le dernier donnant sur l'océan. Je m'assois au bord. Je pourrai facilement me jeter du haut de cette falaise parce que qu'est ce que j'ai à perdre maintenant ? Je suis devenue une meurtrière, je suis folle, je ne suis plus moi-même depuis les Jeux. A quoi bon continuer ? Je regarde l'horizon. Il représente la liberté que seules les âmes ont le droit d'avoir. Je les envie. Je ne sais pas à quoi ma vie va ressembler maintenant. Je sais que je ne sauterai pas de cette falaise, je ne veux pas en finir. En tuant, j'ai volé des vies et si j'arrêtais la mienne aujourd'hui, je leur manquerai de respect. Je dois vivre pour eux, pour Aurelius, pour Grelly et bien sûr pour Bryen. Je cherche pendant plusieurs heures les tombes de mes parents mais il n'y a rien. Je finis donc par penser que les deux pauvres croix près de mes grands-parents, sont pour eux. Je vais donc m'assoir devant ces croix. J'entends la grille de l'entrée s'ouvrir. Quelqu'un approche et vient s'assoir à côté de moi : c'est mon frère. Il semble surpris, je pense qu'il n'était jamais revenu ici depuis la mort de nos parents. Je le regarde. Il me regarde. Nous nous regardons. Des larmes commencent à monter dans nos yeux, et tous deux nous nous mettons à pleurer. Je me recroqueville sur moi jusqu'à ce qu'il s'approche pour me prendre dans ses bras. Je ne sais pas ce qu'il sait, si Mags lui a parlé. Il sait des choses, j'en sais aussi, mais chacun de nous souhaitent, je crois, les garder pour soi. Alors nous restons à pleurer dans les bras de l'autre sans prononcer un mot. Cela faisait longtemps que je ne l'avais pas senti près de moi, que je ne m'étais sentie protégée dans ses bras : cela faisait un moment qu'il n'avait plus été mon frère.

Violet OdairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant