Geais bavards

238 17 3
                                    

     Pendant tout le reste de la nuit, je me repasse cette phrase en boucle : « maintenant vous êtes quittes ». Cela changera t-il le comportement de Bryen ? Que se passera-t-il demain quand il se réveillera ? Devrons-nous nous battre ? Nous avons tant repousser et redouter ce moment, mais après toutes les horribles épreuves que nous avons du endurées, ne serait-il pas mieux de se donner la mort ? Au moins nous serions libre. Je regarde alors Bryen dormir tranquillement. Une sombre idée me vient en tête. Il y a plus simple : et s'il ne se réveillait pas ? Autrement dit, c'est le moment ou jamais d'agir, de le tuer. Il ne souffrira pas, il s'éteindra dans son sommeil. Comment pourais-je faire une chose pareille ? Je vois le bracelet de Finnick à mon poignet, il me rappelle que j'ai une famille, des amis, un district à retrouver à l'extérieur.Tout ce qu'il y a dans cette arène est superficiel, même mon attachement pour Bryen. Je ferme longtemps les yeux, consciente de ce que s'apprête à faire. Je serai incapable de lui enfoncer un couteau en plein cœur car je le verrai souffrir. Je pense alors à lui rompre le cou. Je sors alors ma corde que j'ai depuis le début de mes Jeux. Je la noue parfaitement. Il ne me reste plus qu'à lui passer autour du cou. Je m'approche de lui, passe ma main derrière sa tête pour la lui soulever. A travers mes doigts posés sur mon cou, je sens vibrer les battements de son cœur. Ils battent lentement, montrant le décontraction totale de Bryen. Son cœur bat. Des larmes me montent alors aux yeux. Cette vie que je sens en lui, qui suis-je pour la lui enlever ? Ma main tremble, mes larmes coulent. Qu'est-ce que j'allais faire ? Une terrible erreur dont je m'en serai voulu toute ma vie. Comment ai-je même pu penser à le tuer ? Je jette le plus loin possible la corde comme pour essayer d'oublier ce moment.
Je passe le restant de la nuit à guetter les environs en essayant de ne pas trop réfléchir à ce qu'il m'attend demain.

Le soleil commence à se lever. Bryen ouvre petit à petit ses paupières. Je me trouve assise à quelques mètres de lui. Il se lève, se malaxe la gorge.

« Faudrait qu'on se trouve de l'eau. »

Je m'apprêtais à acquiescer lorsque je me rends compte que j'ai gardé le papier du parachute dans ma main. Son message me revient en tête, me rappelant mes craintes et mes peurs.

« Tu comptes pas me tuer tout de suite ?, lui demandé-je en colère en lui envoyant le papier en pleine tête. »

Il ramasse le projectile, l'inspecte et souffle en levant les yeux. Il doit comprendre mes craintes. Il s'approche et vient s'assoit à côté de moi. Je le vois alors gêné.

« Nan mais... cette nuit... enfin... ne m'en veux pas, je ne l'aurai jamais fait... mais... j'y ait pensé, j'ai voulu te tuer... »

Je reste choquée d'une telle franchise. C'était donc ça les bruits cette nuit... et le baiser sur mon front. Je ne peux m'empêcher de rougir en pensant qu'il ne m'a pas tué parce qu'il m'affectionne vraiment, qu'il m'apprécie sincèrement. De ce fait, je dois moi aussi lui dire la vérité.

« Moi aussi... j'ai voulu et j'ai cru pouvoir y arriver mais...
-Impossible comme d'habitude. »

On souffle alors tous les deux de désespération. Nous n'avons pas du tout avancer dans notre problème de qui doit gagner, nous restons bloqués.
Nous restons alors plusieurs heures assis à nouer des noeuds pour oublier tous nos maux. On ne s'adresse pas un mot. Quand soudain, un cri lointain cassé ce silence. On se relève alors instantanément pour trouver la provenance de ce son. C'était un cri humain. Si ce n'est ni moi, ni Bryen qui avons crié, qui l'a fait ? Je sens mon cœur battre de plus en plus fort, mon cœur se tend. Je ne suis pas dupe, il s'agit encore d'un nouveau danger des Juges pour nous mettre à l'épreuve. Cela faisait trop longtemps que nous étions en sécurité. J'attrape donc mes deux dernières couteaux que j'accroche à ma ceinture. Quant à Bryen, il s'arme d'une branche pointue car il a perdu toutes ses lances. Malgré le fait que nous sommes armés, nos corps restent affaiblis et meurtris à cause de tout ce qu'on a dû endurer ces dernières jours. Le cri se fait ré-entendre.

« Regarde, me dit Bryen en pointant son bras devant. »

Je suis son regard. J'aperçois alors la Corne d'abondance au loin, un corbeau y est posé dessus. L'oiseau crie. Je comprends alors que je ne suis trompée, ce n'est pas un corbeau mais un geai bavard, un mutant capable de reproduire les sons qui entend. Je l'observe donc crier de plus en plus forts.

« Maman... maman pardonne moi, prononce une faible voix derrière nous. »

Je sursaute et me retourne immédiatement. Je reconnais cette phrase, elle me hante depuis des jours : c'est les derniers morts de Grelly lorsque je l'avais tuée. Je vois alors un autre geai bavard, sur une branche qui semble fier de ce qu'il vient de dire. Quant à moi, je ressens la douleur de se souvenir que je tentais d'oublier : j'ai tué quelqu'un, quelqu'un de bien qui avait une famille... Je commence alors à trembler, des larmes me montent aux yeux. Bryen me voit paniquer, il m'attrape et me serre fort dans ses bras.

« Ne les écoute pas, ils sont là pour nous déstabiliser mentalement, me chuchote t-il à l'oreille. »

Nous « déstabiliser mentalement » a t-il dit, cela fonctionne bien sur moi. En revanche Bryen reste inchangé, fier jusqu'à ce qu'un autre geai vienne se déposer devant nous. Il émet alors un hurlement imitant une petite voix féminine. Bryen semble affecté par ce cri, il se bouche les oreilles pour essayer de ne plus entendre. Il casse ensuite sa branche en deux et en jette une sur l'oiseau. Celui ci la reçoit en plein cœur, il meurs aussitôt et s'arrête donc de chanter. Je m'avance ensuite vers Bryen pour le réconforter comme il l'avait fait pour moi il y a quelques minutes. Je ne sais pas à qui cette voix appartenait mais cela devait être à un de ses proches. J'ai à peine touché son épaule que ma main se paralyse aussitôt en entendant de nouveaux cris, ceux de ma mère. Ce sont des hurlements de souffrance, de tristesse... Pourquoi crie t-elle ? Que lui arrive t-il ? J'entends alors dans les airs un autre geai imité la voix de mon père. Lui aussi hurle et semble agoniser. Je ne peux m'empêcher de les imaginer entrain de mourir. Cette pensée m'effraie d'autant plus. Je sais que ce n'est qu'un misérable oiseau qui chante mais ces cris semblent si réels. Et s'ils reproduisaient la vérité ? Ont-ils vraiment entendu mes parents gémir ? Tout mon corps tremble, c'est un miracle que j'arrive encore à tenir sur mes jambes. De plus en plus d'oiseau apparaissent. Pour l'instant, ils restent muets mais ça ne saurait durer ainsi. Bryen m'attrape le poignet et me regarde.

« On va aller dans la Corne comme ça on les entendra moins. »

J'acquiesce. Je ne sais si ça marchera mais au moins, on peut toujours essayer, je garde espoir qu'il a raison. Cependant, à peine, avons nous commencé à marcher vers la Corne qu'une cinquantaine de geais bavards sortent du sol, s'envolent en criant. Nous sommes alors étourdis par le boucan produit par les oiseaux. Il y a tellement des cris, tellement de voix différentes. Qui sont tous ces gens ? Que leur arrivent-ils ? On se met alors à courir. Des geais se mettent en travers de notre chemin, nous tombent dessus. A coups de bras, on essaye de les éloigner mais en vain... Malgré l'adrénaline, je reconnais quelques voix. Celles de mes parents sont encore audibles. Il y aussi celle de Rayden, de May, d'Annie, de Nula et de tous les autres tributs. C'est abominable. Les oiseaux voilent de plus en plus près, ils nous frôlent avec leurs ailes. Quant à la Corne, elle n'est plus qu'à une dizaine de mètres. Un mal de tête énorme me prend alors, mes tympans doivent être percés vu le bruit strident des cris. Je commence à voir flou, toutes mes idées sont embrouillées. Je me recroqueville donc au sol, à quatre pattes, la tête entre les mains en me bouchant les oreilles. Les hurlements ne cessent jamais et deviennent de plus en plus forts car d'autres geais se ramènent. Rester au sol ne me protégera en rien de ces mutants, je ne peux pas rester là à subir. Mais que faire ? Je redresse légèrement la tête. Je vois la Corne devant moi. Quant à Bryen, il est introuvable. Je remarque ensuite qu'une dizaine de geais passent toujours au même endroit, en haut à droite de la Corne. C'est comme si leur trajectoire de vol était planifiée pour qu'ils passent ici. Je n'ai plus qu'un couteau. Un seul lancé, une seule chance, la dernière. Je me lève alors, attrape mon arme, visualise ma cible. J'attends qu'il y est le plus d'oiseaux possibles au même moment. Et puis après, j'arme mon bras et lance le couteau. Je m'attends alors à voir plusieurs geais tombés, raides morts. Mais à la place, un coup de canon retentit...

Violet OdairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant