trente-deux

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J'entends des voix. Et mon esprit reprend conscience. Mes paupières s'ouvrent et je comprends : Rudy et Bambi se disputent. Deux fortes personnalités veulent toujours se dominer, c'est philosophique. Enfin, je crois.

« - Putain mais laisses-les faire leurs vies, je te dis ! Non mais de quoi tu te mêles pignouf ?! Rétorque Bambi avant que Rudy ne crie de nouveau. »

Je me redresse en position assise. Le canidé vient m'humidifier le visage, j'imagine que cela avait un objectif sympathique. Mon dos me fait mal. Normal, me diriez-vous, quand on dort sur le parquet à moitié étalé sur quelqu'un d'autre. Je me recoiffe un minimum et Bambi m'apprend que j'ai bavé. Elégant, n'est-ce pas ?

Après un bref instant, nous nous retrouvons tous les quatre attablés autour d'une table pour prendre le petit déjeuner, les jumeaux pas si fraternels, mon amie qui est aussi une amie des jumeaux, enfin je crois, Pega, il est par terre, et moi, créature enfermée dans le corps d'une humaine à cause d'une de ces dernières personnes citées.

« - Alors frangin, pourquoi cette coupe singulière et cette teinture beige ? Demande soudainement Rudy en mâchouillant un morceau de son pain beurré.

- Tu l'aimes ? Réponds l'autre jumeau avec un semblant d'espoir.

- Et bien, maintenant que tu ne me ressemble plus et qu'ainsi nous ne serons pas confondu, oui. Argumente celui qui a débuté la conversation méchamment. »

La mine de Mao –ou Ewen- s'est tout de suite renfermée. Espérait-il vraiment un compliment de la part de son frère ? Serait-il naïf ?

« - Mouarf. Sinon, du coup, Maowen, ou machin, tu comptes lui rendre son corps à notre, enfin ma, Pistache ? Baragouine la métisse en reposant sa tasse de café. »

L'interpellé se tourne vers moi. Il me fixe de son regard indescriptible. Sa bouche est restée entrouverte comme s'il avait quelque chose de coincé qui l'empêchait de la fermer. Comparaison nulle, je sais. Il est figé. Puis il se décongèle pour essayer de parler. Ses lèvres bougent mais je ne perçois aucun son.

C'est vrai que Bambi et moi ne lui avons rien dit sur ma véritable nature. Mais bon, lui aussi nous a caché son identité.

Nous finissons de manger dans un silence de plomb. Nous quittons le domicile pour aller au marché. « Pour nous détendre », disait Rudy. Eh bien nous n'avons pas la même notion de détente.

Alors que nous regardions le prix des papayes, une forte voix terrifiante a appelé mon amie. C'était son père qui promenait ses trois fils. Il était dans une colère noire, non pas pour la fuite de sa fille mais pour le vol de sa voiture et de son argent. Lorsqu'il lui a dit que l'héritage du café serait transmis à son premier fils et non à elle, elle semblait s'en réjouir. Cependant, il l'a tout de même forcée à revenir chez lui. Elle était partie pour travailler trois fois plus pour un demi-salaire. Son humeur s'était assombrie.

Moi, j'ai dû rester avec les jumeaux. Et Pega. Son père a strictement refusé notre présence. J'espère rester en vie.

Nous sommes rentrés. Rudy a ordonné à son frère de faire la cuisine, il a accepté. Je crois que le tyran a pris Pega et est allé dormir. J'espère qu'il va le mordre dans son sommeil.

N'ayant rien à faire, je me suis installée sur le sol, calée contre le radiateur. J'observe Mao. Son visage est toujours fermé. A-t-il compris que je suis celle qu'il a transformée ? Il n'a pas répondu à la question de Bambi ce matin.

Je le vois sortir différents ingrédients du réfrigérateur et des placards puis les disposés sur le comptoir. Il s'éloigne. Ses mains s'illuminent d'une lumière de couleur verte, il les dirige vers le comptoir, soupire, ferme les yeux puis la lumière jaillit de sa paume pour envelopper les ingrédients. Ceux-ci se mettent à danser, à bouger tous seuls, des récipients sortent soudainement des placards et flottent vers le comptoir. Rapidement, la cuisine s'effectue. Et en un rien de temps, un plat composé d'un mélange épicé de riz et de poulet est présenté.

C'est un spectacle à la fois merveilleux et effrayant.

Ses yeux sont de nouveaux ouverts et sa main est revenue le long de son corps. Pourtant, la lumière qui en sort ne s'est pas éteinte. Il tourne la tête vers ma personne. Son regard devient un mélange de peur, de regret et d'une once de désir.

Agréable Mauvais SortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant