Le monde oublié

Chapitre 46

Quand je sors du bureau du proviseur, je vois Talia faire les cent pas dans le hall. Je la rejoins en trottinant.

— Alors ?

— Il nous a juste rappelé qu'il ne faut pas utiliser nos éléments à l'académie en dehors des cours, je baisse la voix et continue. Si tu avais vu comme il me regardait, il doit déjà être au courant mais je pense qu'il n'a rien osé dire devant Finn.

Juste à ce moment-là, le jeune homme sort à son tour. Il passe devant nous en regardant droit devant lui.

— Finn ! je le hèle alors qu'il s'apprêtait à sortir.

Il s'arrête un moment, le dos tourné puis se décide à nous faire face. Il ne prononce pas un mot, il attend.

— Merci pour tout à l'heure, je parviens à murmurer d'une voix faible.

Voir Finn me fait chaud au cœur, je ne m'étais pas rendue compte à quel point il me manquait. Mais le voir comme ça, le visage fermé me fend le cœur.

— C'est normal, je n'allais pas te laisser comme ça, prononce-t-il sans sourire d'avantage.

Sa voix porte une légère accusation lorsque qu'il accentue le mot « laisser ». Pendant quelques secondes, je suis en colère en voyant qu'il m'a envoyé une pique gratuitement mais, je me rends vite compte qu'elle n'est pas sans raison.

Comme toujours, lorsque je ne sais pas quoi faire ou comment réagir je baisse les yeux vers mes ballerines. J'entends les pas de Finn s'éloigner de plus en plus et quand je relève la tête, il n'est plus là.

— Il va falloir que tu patientes beaucoup, Diana, déclare Talia, comme si ça ne suffisait pas.

— Pas que patienter je pense. Il va falloir que j'agisse. Je ne sais pas encore comment mais il va falloir que je le fasse.

Je suis plus déterminée que jamais à réparer cette erreur et je suis bien consciente que ça ne va pas être aisé. Elle hoche la tête, parfaitement d'accord avec moi.

— Bon, rentrons chez moi.

Pendant les deux derniers jours de ma cinquième année à l'académie, je sens cette tension enorme. Les Avery et le clan des Wilson n'ont jamais été autant rivaux, et moi, je suis au milieu. Finn semble me défendre contre les Wilson mais sans jamais m'adresser la parole. Marcus est revenu plusieurs fois me voir en me questionnant pour essayer de trouver qui m'avait tout dévoilé. Fidèle envers Thaïs, je suis restée sur ma version d'avoir entendu John et Hélène, ce qui n'est pas totalement faux d'ailleurs. Les jumeaux aussi ont essayé une fois, Thaïs était avec eux, elle n'a jamais été aussi discrète. Je ne sais pas comment elle a réussi à cacher sa sortie nocturne à la fontaine l'autre soir mais personne n'a dû le découvrir vu l'attitude des jumeaux.

Quand je rentre chez Talia après le dernier jour, je suis épuisée. Pendant presque toute la soirée, j'écris dans mon carnet pour essayer de mettre mes idées au clair. Mais rien ne va. Tout ce que j'ai gagné, c'est qu'il ne me reste plus que trois pages. Il faut que je m'en procure un autre. Je descends trouver Talia qui est partie de sa chambre peu avant. Rhys m'indique qu'elle est allée dehors. Je sors dans le jardin et la cherche des yeux. Ce n'est pas très compliqué de la localiser avec les grands serpents d'eau qui flottent autour d'elle. Comme une spirale, ils l'entourent majestueusement. Je la regarde longuement les maintenir dans les airs. Elle a les yeux fermés et le visage détendu, comme si elle ne pensait plus à rien. Puis elle absorbe toute l'eau, ouvre les yeux et regarde dans ma direction.

— Tu veux venir avec moi ?

Je me dirige vers elle en traînant les pieds.

— On a tout le temps pour se reposer et pour réfléchir avant la reprise.

J'acquiesce et laisse parler mes émotions.

Presque tous les soirs, nous retournons dans le jardin pour parler et nous entraîner. Talia m'aide même parfois à exercer mon feu. Rhys et Elerinna m'ont conseillé de continuer à le faire pour éviter les accidents.

— Tu as fait beaucoup de progrès, déclare Talia un soir quand nous rentrons pour manger.

Je m'apprête à lui répondre mais quelque chose attire mon attention. Je suis presque certaine d'avoir aperçu un éclat de lumière derrière elle. Un portail sans doute.

— Quelqu'un vient d'apparaître à l'entrée de chez vous, je murmure en marchant dans la direction de l'éclat.

Je suis assez près pour distinguer un elfe à présent mais à cause de l'obscurité, je n'arrive pas à lui donner une identité. Sans effort, je crée une boule de feu dans ma main comme un petit soleil pour nous éclairer. Je parviens à présent à l'identifier.

— Thaïs ? chuchote Talia derrière moi. Qu'est-ce qu'il y a ?

La jeune fille semble épuisée. Ses yeux sont rouges et ses joues mouillées. Ses cheveux frisés habituellement toujours très bien coiffés sortent de son chignon à plusieurs endroits.

— Ils savent. Ils savent que c'est moi.

Immédiatement, nous comprenons de quoi elle parle. Talia la laisse entrer et l'invite à poursuivre.

— Je ne sais pas comment ils l'ont découvert, ils sont venus me voir et ils m'ont obligé à tout leur avouer. Mes propres parents ils...

Une larme s'échappe de ses yeux, elle s'empresse de l'essuyer et fixe le sol.

— Ils m'ont enfermée dans ma chambre pendant plusieurs jours mais j'ai réussi à m'enfuir.

Elle s'arrête pour relever la tête vers nous et nous regarder dans les yeux chacune notre tour.

— Ce n'est pas vous, n'est-ce pas ?

La tournure de sa phrase sous-entend qu'elle l'affirme mais on décèle du doute dans son propos. Nous secouons frénétiquement la tête.

— Nous n'avons rien dit, confirme Talia d'une voix ferme. Viens, rentre, tu dois être fatiguée.

Talia installe Thaïs sur le canapé puis rejoint ses parents.

— Il va falloir que tu nous expliques Talia, fait Rhys d'un ton calme.

— Oui bien sûr. Je vais tout vous expliquer mais d'abord il faut recommencer depuis le début.

J'écoute Talia tout raconter à ses parents. Elle me questionne parfois pour que je confirme ou que je complète. Thaïs a l'air de s'être endormie mais ça ne m'étonnerait pas qu'elle écoute, c'est ce que j'aurais fait à sa place. Dans ce genre de moment, il est impossible de dormir. Rhys et Elerinna ont l'air perdu mais ils nous croient. J'en suis sûre même si, dans notre récit, nous accusons un conseiller et des elfes très importants à Elyria. Leur fille et ses proches sont les choses les plus importantes pour eux, bien plus que le prestige ou la réputation.

— Nous en reparlerons demain, finit par dire Rhys. Allez-vous coucher les filles. Thaïs peut rester sur le canapé pour cette nuit.

Sans contester, nous montons dans la chambre même si nous savons bien que nous n'allons pas dormir tout de suite.

— Tu crois qu'ils vont la retrouver ?

— Sûrement, et je ne sais pas ce qui va lui arriver. Mais ce que je ne comprends toujours pas c'est pourquoi ils ne sont pas venus te chercher toi.

— Je pense qu'ils ne veulent pas attirer l'attention. S'ils viennent me prendre de force ici ça va faire du bruit. Trop de bruit pour eux.