1. Le miroir

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 A l’entrée de la maison, un miroir reposait contre le mur. Il recouvrait une bonne partie du pan de mur. Lorsque les invités entraient, à leur gauche, ils pouvaient se mirer dans ce vaste étang de lumière qui agrandissait le vestibule.

 Invariablement, la réflexion suivant fusait : « C’est dangereux ! J’ai failli me cogner ! »

Etrange ! Comment cela se peut-il ? Lorsque nous approchons de la surface, en général, notre propre image s’y reflète. Et quand nous voyons avancer vers nous une ombre, nous avons souvent le réflexe d’arrêter notre marche. Qu’est ce qui faisait que tant de personnes tempêtaient contre ce banal miroir ? Pourquoi, lorsqu’ils l’apercevaient à l’entrée, les invités se méprenaient sur la nature du reflet qui inévitablement venait s’imprimer sur la surface de ce panneau vitré ?

 Il est drôle comme les gens sont prompts à vous donner des conseils, gratuits bien sûr, alors que vous n’avez rien demandé. Certains me proposèrent de placer une bande rouge à la verticale afin d’attirer l’attention sur la dangerosité de l’objet. D’autres conçurent d’autres stratagèmes afin d’éviter de se cogner sur ce miroir aux alouettes. Finalement, maintenant, plus personne ne m’en parle. Comment ces « lamenteries »  cessèrent ?

 Tout débuta un jour de Printemps. J’avais invité un couple d’amis et leur fils. Ces deux amoureux se querellaient souvent, et leur enfant en faisait les frais. Pendant le repas, leurs problèmes affluaient comme un torrent de vomi froid et, comme d’habitude, ils se chamaillaient, se plaignaient et j’en passe.

 Au bout d’un moment ils s’aperçurent de l’absence de leur progéniture. Le silence glaça l’atmosphère qui avait été échauffée quelques minutes plus tôt par leur dispute. Ils commencèrent par l’appeler, puis après à le menacer et enfin par l’invectiver de plus en plus fort. Sans réponse, nous décidâmes de le chercher. Le jeu de cache-cache s’arrêta vite puisque nous ne le trouvâmes dans aucune des pièces de l’appartement.

 La porte d’entrée étant fermée, je vérifiais encore une fois pour être bien sûr. Et là, j’eus une hésitation. Du coin de l’œil, j’aperçu un  reflet qui se projetait sur le miroir en plus du mien. Je m’approchais. Alors je remarquais une silhouette que je reconnus comme celle du fils de mes amis. Le plus étrange, je le voyais de dos. Je regardais derrière moi. Rien. J’étais fort intrigué.

 J’appelais mes amis et ils firent la même constatation, l’hystérie en plus. Les dissensions reprirent de plus belle. Elles se terminèrent en une dispute en règle. C’est alors que je constatais que le corps de l’enfant s’était retourné pour voir l’état de ses parents. Etrangement, il me fit un clin d’œil. Je reculais lorsque je constatais que la substance de la vitre s’avançait vers mes deux amis comme des doigts gluants et semi-transparents. Lorsqu’ils furent collés par cette matière, ils essayèrent de s’en dégager en vain. Devant mes yeux ébahis, ils furent absorbés par la glace. Je les voyais se débattre à l’intérieur du miroir. Puis ils se mirent à courir vers leur fils qui s’éloignait au fin fond du jeu de miroir.  Je ne les ai jamais revus, prisonniers à jamais de cet objet.

 Depuis, je raconte cette histoire à mes visiteurs et je n’ai jamais plus eu de remarque au sujet du miroir. Maintenant que j’approche les quatre-vingt ans, je contemple toujours mon image sur celui-ci. De temps en temps, j’y vois un enfant souriant qui me fait un signe de la main. J’ignore si ses parents l’ont retrouvé, s’il vit heureux. Cependant je lui réponds. Il faut rester poli avec ceux qui passent de l’autre côté du miroir…

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