21. Titû (Errance 3)

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Le ciel vomissait des couleurs chaudes. La teinte rougeâtre bavait à l'horizon et le soleil offrait en abondance ses rayons grenat sur la chevelure fine et blonde attachée en catogan de Shân. Un morceau de tissu jaunâtre ceignait sa tête. Revêtu d'un boléro en daim brodé d'une frange fournie et multicolore, il arborait une chemise et un pantalon en jean délavé. Un trait épais blanc barrait chacun de ses sourcils. Son visage rêvait mille aventures, son corps dansait sous sa démarche lente. La route fumait d'une légère brume de chaleur et un vent tiède soulevait une poussière fine et éreintante.

Le pickup s'arrêta à la hauteur du jeune homme. Le conducteur s'enquit des intentions du marcheur :

« Où comptes-tu aller sur cette route brulante ? »

« Je vais à la Capitale. »

« Mon gars ! Tu n'es pas dans la bonne direction. »

« Je parle de la Grande Capitale. »

« Eh bien, cela fait une trotte à pieds pour aller sur la côte Est. Si tu veux, je peux te déposer à un terminal de Bus qui fait le trajet presque tous les jours vers la Capitale Fédérale. »

Shân monta à bord du Pickup à côté du conducteur. Son corps gras enfonçait le siège et son corps ventru frottait le volant.

« Tu es parti en guerre pour ta tribu, demanda-t-il en montrant les marques blanches sur le visage du garçon ? »

« Oh, non. Ces traces à la craie indiquent que je suis en mission diplomatique. »

« Ah, vas-tu être reçu par le Président ? » voulut savoir le conducteur.

« Oh, non, mon intention est de récupérer le Titû de la tribu. »

« Un Titû ? »

« C'est un emblème qui contient toute la culture de la tribu. »

Le conducteur transpirait abondamment sous le soleil couchant brulant. Il stoppa à quelques mètres du terminal de bus. Shân le remercia et lui tendit la main. Pendant le contact, il lui offrit l'expérience libératrice attendue. Cette épreuve le bouleversa tant qu'il magnifia toute son existence, à jamais chamboulée.

Le trajet en bus se déroula sans encombre jusqu'à la Grande Capitale. Shân se positionna devant le musée qui détenait l'insigne tribal. Il observa calmement pendant plusieurs heures les mouvements de la porte d'entrée. Un policier s'inquiéta de la présence de cet intrus bizarrement accoutré avec sa tenue indienne et ses peintures qu'il supposa guerrières. L'agent demanda au garçon :

« Puis-je vous aider ? »

« Comment dois-je procéder pour récupérer un bien volé ? »

« On vous a dérobé un objet ? » interrogea-t-il.

« En effet. »

« Il faut déposer une plainte au commissariat. »

« Où est-ce ? »

« Je vous accompagne si vous le désirez. »

« Je vous en remercie. »

Shân suivit l'officier jusqu'à bureau de police. Là, il fit une déposition. Il expliqua que le Musée avait dérobé un Titû indispensable à la survie de la Tribu. L'agent fut ému par la demande du garçon et il se démena pour accélérer la restitution. En apprenant cette surprenante histoire, le commissaire voulut en avoir le cœur net. En écoutant Shân, il fut déterminé lui aussi à parvenir à un résultat rapidement.

Les deux agents, un avocat conquis par la cause et le garçon furent reçus par le Conservateur du Musée. Dans un premier temps, il se demanda si tout cela n'était pas une plaisanterie. Les arguments de Shân le convainquirent du bien-fondé de la restitution de l'artefact à la Tribu. Un jour plus tard, le jeune homme se retrouva dans un bus de retour en direction de l'Ouest.

Autour du feu les anciens reçurent Shân. Alors le Titû, confié au Conseil, déploya ses chants. Il épela les merveilles de la Terre : les forêts, les eaux, les plaines, les montagnes, les animaux et les hommes. Il fredonna la longue histoire de la tribu et son lien avec le Monde. Il offrit même les solutions pour le retour du Bison et pour guérir la planète... Dans la joie, la tribu offrit une grande fête en l'honneur de son sauveur. Les danses succédèrent aux danses. Les chants montèrent jusqu'au ciel étoilé. Les cœurs s'égayèrent jusqu'au petit matin.

Après un repos sous les tipis, le conseil de la tribu se réunit pour faire part de sa décision. Le chef parla en ces termes :

« La tribu ne possède pas beaucoup de terre mais elle est prête à la partager avec ton peuple. »

« Je vous remercie de ce cadeau, répondit Shân. Cependant, votre peuple doit se concentrer sur le renouveau de votre culture. Tous vos territoires sont nécessaires pour accomplir votre renaissance. »

« Nous avons une dette envers vous et nous désirons nous en acquitter. »

« Prenez soins des forêts, des lacs et de la faune. Régénérer votre culture. Et nous serons quitte » déclara le garçon aux anciens.

Puis Shân l'errant reprit son long voyage.

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