Sous une brume orangée, le village s'éveillait. Une rivière impétueuse dévalait la vallée en se jetant dans le complexe industriel qui phagocytait le fond du vallon. De hauts grillages, des tours de surveillance, des vigiles protégeaient la zone des incursions indésirables. Les bâtiments engloutissaient un incessant trafic de camions-citernes et les cheminées vomissaient des volutes de fumées grasses et rougeâtres. Une poudre blanche recouvrait les branches des épineux et les herbes étouffaient sous une poussière orangée.
Les villageois erraient dans les rues comme des zombis. Leur marche les conduisait vers l'entrée de la fabrique chimique, une longue file de mort-vivants. L'usine les dévorait un par un et en rejetait d'autres encore plus fatigués. Tous étaient contrôlés par les gardes et les employés semblaient soumis à cette pratique dégradante dans une indifférence générale. La lassitude expliquait peut-être cette obéissance aveugle mais ne justifiait pas cet asservissement.
Derrière d'innombrables tableaux, des techniciens surveillaient les opérations. Une micro fissure érodait lentement une cuve. Pour des raisons budgétaires et de compétitivité, la compagnie à qui appartenait cette usine achetait du matériel de basse qualité et lésinait sur la maintenance trop couteuse. Puis, ce fut l'accident, la cuve se lézarda en laissant les produits dangereux suinter le long des parois. Un employé détecta l'anomalie mais c'était trop tard. Une réaction en chaine débuta et l'incident se transforma en cauchemar.
Alors, l'alarme se mit en route, suivie d'une alerte générale qui s'étendit au village. Les sirènes hurlèrent et les habitants fuirent la zone contaminée. L'évacuation s'effectua de façon totalement désorganisée, chacun pour soi. Les autorités civiles furent prévenues beaucoup trop tard et la zone de quarantaine fut décrétée à toute la vallée. Plus aucune personne ne pouvait accéder au secteur. Les ingénieurs prévoyaient une explosion qui détruirait l'usine, le village et la campagne sur un rayon de 150 kilomètres.
Sur la Grande Place, Shân se reposait sur un banc public. Un homme revêtu de sa combinaison de protection chimique s'approcha de l'adolescent. Il lui ordonna de quitter les lieux.
« Vous devez évacuer immédiatement la zone. Nous attendons une violente explosion qui va pulvériser cet endroit. »
« La situation est totalement maîtrisée. La catastrophe sera contenue. Vous pouvez être rassuré. »
« Je ne comprends pas ! »
« Comprendre ? L'important est de vivre. Retournez à votre quartier général de la Sécurité Civile. Rapportez qu'il n'y a rien à signaler. Que tout se déroule selon le plan. »
L'ingénieur approuva. Après l'inspection, il retourna se mettre à l'abri en dehors de la zone de quarantaine.
Shân retira de sa poche un cube noir aux arêtes de cinq centimètres. Il quitta la Grande Place et se dirigea vers l'usine abandonnée. Il entra à l'intérieur et déposa l'objet sur le sol. Puis, il s'en revint vers le banc. Au début, l'atmosphère se brouilla. Un spectateur aurait constaté que la matière semblait être attirée comme dans un trou noir à l'intérieur du dé sombre. Chaque atome des cuves se désagrégeait pour finir en spirale vers le cube. Ensuite, l'usine fut engloutie à son tour, puis les pollutions rejoignirent le même espace. Doucement, la vallée fut lavée de la souillure chimique.
En amont de la vallée, une humble maison se dressait au fond d'un immense champ en fleurs. La seule ouverture de cette habitation était une porte. Elle laissa passée une fillette, aux longs cheveux retenus par une couronne de fleurs. Elle était accompagnée par une nuée d'abeilles qui voletaient en faisant des cercles autour d'elle. Avec légèreté dans son pas, elle descendit le sentier qui menait vers le village. La végétation recouvrait déjà les champs libérés par la disparition de l'usine et de ses infrastructures.
Assis sur le banc, Shân tenait entre ses mains le cube noir. Il se leva lorsque la fillette apparut. Il s'inclina :
« Bienvenue Princesse des abeilles. »
« Les colonies d'abeilles vous remercient de les avoir sauvé de l'enfer chimique qui décimait les ruches par centaines. »
« Je vous ai promis de régler le problème. J'ai tenu ma promesse. »
« Si vous le désirez, votre tribu peut vivre dans ce village. »
« Lorsque les habitants s'apercevront que l'usine n'a pas explosé, ils reviendront reprendre possession de leur maison. »
« Nous ignorons ce que cela est de posséder ! »
« Peu importe. C'est une folie humaine. Lorsqu'elle reviendra en cette vallée, chaque habitant devra être piqué par une abeille. Cette piqure ne sera fatale ni à l'abeille ni à la personne et créera une sympathie réciproque. Alors la population vivra en harmonie avec vous et rejettera toute aliénation à l'industrie chimique. »
Sur ces paroles, Shân l'errant reprit son long voyage.
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Contes et Nouvelles de la Terre
FantasyPublication de contes d'un autres au-delà. Toute ressemblance avec notre propre univers serait fortuite, pure coïncidence. Quoique !