La vie (Oneiros 2)

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L'ombre régnait encore. Les premiers rayons matinaux laissaient leurs empreintes vives sur les sommets des montagnes. Sans bruit, le garçon se leva. Se dépouillant de ses affaires, il laissa son ancienne vie bien pliée sur sa couche. Il ceignit autour de ses reins un pagne aux teintes vertes, jeta sur ses épaules un sac de tissu marron hachuré de couleurs vives, regarda autour de lui comme pour s'imprégner une dernière fois des lieux et s'éclipsa par la porte principale toujours ouverte.

Le village semblait encore endormi, alors l'adolescent marcha à pas de loup pour quitter les lieux laissant ainsi son passé d'enfant : l'appel de la liberté. Doucement, il traversa le village. Devant lui s'étendait le vaste monde. D'un pas sûr, il marcha en direction des vastes plaines. Les sapins se firent plus rares, l'herbe plus haute. Les verts pâlirent et les ocres s'étalèrent à perte de vue.

Après avoir marché pendant une matinée, il s'installa sous un vénérable chêne qui s'ancrait dans les vastes terres d'herbes jaunes et élevées. Il s'assit en tailleur sur le tapis mousseux du sol, ôta le sac de ses épaules, y plongea la main gauche et récupéra sept pierres oblongues, six blanches et une noire. Il les mélangea lentement au creux de sa paume puis les jeta sur le sol devant lui.

Les gemmes du destin composèrent une configuration. Alors le garçon l'observa en silence et entra en transe. Son torse affectait une sorte de danse, en avant et en arrière. Le balancement s'interrompit puis un sourire illumina le visage lisse et halé de l'adolescent. D'un geste rapide, il récupéra les sept pierres qui retournèrent dans le sac. Il en sortit quelques fruits secs qui constituèrent son repas.

Délicatement, un écureuil descendit le long du tronc rugueux du vénérable chêne. Une patte frêle se posa sur l'épaule du garçon qui resta immobile. Il concentra son attention sur l'animal. Ce dernier s'installa sur l'épaule regardant à droite puis à gauche et, finalement, observa les aliments dans les mains de l'adolescent. Alors, lentement, la paume se leva et l'écureuil mangea les quelques miettes du repas.

Après s'être rassasié, il se leva, l'animal sur une épaule et le sac sur l'autre. Il poursuivit le chemin vers les vastes plaines. Au bout d'un moment, il aperçut un renard gisant dans un fourré. Blessé à la cuisse, il agonisait. Le garçon s'approcha doucement pour acquérir sa confiance, focalisa son attention sur la douleur de la bête puis, avec sa permission, posa la main droite sur la plaie.

Lorsqu'il releva la paume, la coupure se referma et le renard put se remettre sur ses quatre pattes. Celui-ci s'éloigna en boitillant légèrement, s'arrêta, effectua un signe de gratitude et enfin s'éloigna.

La nuit tombée, l'adolescent s'endormit à l'abri d'un saule près d'une rivière qui égrainait sa mélodie cristalline. Les songes nocturnes accompagnèrent le sommeil. Lorsque les premières lueurs colorèrent de lumière l'horizon, il se redressa à l'aguet.

L'eau semblait perturbée. Il se leva accompagné par l'écureuil qui le suivit de loin. En longeant le cours d'eau, il découvrit la personne responsable du trouble de la rivière. Un garçon se lavait en éclaboussant un animal, le renard, exprimant ainsi sa joie de vivre et la guérison de son totem.

Les jeux d'eau de l'adolescent stoppèrent. Le jeune homme observa les deux arrivants puis il sortit doucement de la rivière. Il ceignit autour de ses reins un pagne à la teinte verte. Ensuite il s'approcha des nouveaux venus, le renard le suivant de près.

Ils s'arrêtèrent devant eux, puis le garçon s'assit en tailleur. Sur le sol, il traça un rectangle dont la surface se mit à miroiter une brume violacée. Lentement, une image s'afficha représentant une sorte de carte. A un endroit de cette dernière quatre points rouges clignotèrent, le garçon indiqua du doigt chacun des êtres présents près de la rivière.

Ensuite, il montra deux autres points à un autre emplacement de la carte et il désigna une destination. L'autre garçon fit signe qu'il comprenait le message. Alors, il s'assit devant l'autre individu. Il plongea sa main gauche dans le sac, sortit les pierres du destin et les jeta à terre. Il étudia la forme des sept gemmes. Il montra la configuration et pointa vers la destination indiquée par l'autre adolescent. Les quatre êtres approuvèrent et se mirent en chemin vers cet objectif.

Lorsque l'ombre se fit rare, ils s'arrêtèrent pour partager un repas, le souffle léger et brulant caressait leur peau. Vers le milieu de l'après-midi, ils arrivèrent à destination. Un garçon dormait au pied d'un chêne. L'arbre semblait souffrant, les feuilles se repliaient sur elles-mêmes, le tronc pelait.

Des éléments naturels et d'autres artificiels d'un autre âge composaient un paysage cauchemardesque. Des poutres métalliques se dressaient, arbres d'acier abandonnés, ensevelies par les gravats et recouvertes par des ronces acérées. Des murs brisés constituaient une mosaïque de pierres grisâtres entre les herbes jaunies et les arbres maladifs. Les végétaux possédaient une apparence fantomatique, une lèpre orange recouvrait les feuilles ocre. Des flaques sombres et nauséabondes rongeaient le sol comme une gangrène.

Les trois garçons se regroupèrent autour du chêne fatigué. Assis en tailleur, ils psalmodièrent des mélodies, des chants de guérison. Une vapeur s'éleva des paumes de l'adolescent-renard qui se transforma vite en eau de vie lavant les pollutions de l'ancien monde. Des lueurs tamisées illuminèrent le visage de l'enfant-papillon qui offrait sa douce chaleur réparatrice. Enfin, le garçon-écureuil disloqua les murs et les poutres d'acier en fine terre, en terreau propice à la vivance.

La fête du soleil s'étendit sur l'horizon solitaire. Au petit matin, les six Etres marchèrent vers d'autres blessures du monde à réparer, anciennes erreurs du passé.

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