Contes et Nouvelles de la Terre

14. Peinture

Dans la pièce spéciale du Museum, la toile qui recouvrait toute la muraille avait la dimension impressionnante de six mètres de haut sur vingt-quatre de large. Elle était la seule œuvre présentée dans cette salle. La peinture se nommait « Le paysage du peintre inconnu » car aucun historien de l'art n'en connaissait l'auteur. A l'origine, le tableau ornait le Palais du Marquis de la Forêt. Les experts déterminèrent sa date de création au XVIII° siècle alors que le thème laissait apparaître une période plus contemporaine. Le mystère sur l'origine de cette toile lui conférait une notoriété internationale. De nombreux visiteurs faisaient la queue pendant des heures pour pouvoir la contempler car un nombre de dix était le maximum accepté pour l'admirer.Que représentait ce tableau ? Son thème restait une énigme car le sujet ne correspondait pas du tout aux peintures du XVIII° siècle. Les cinq sixièmes de la toile symbolisaient le déchainement de nuages. Les teintes se débridaient sur un ciel tourmenté. Des rouges, des verts, des bleus, des jaunes, des ors, des argentés se battaient, se mélangeaient, se dégradaient, s'entremêlaient devant une immense étoile orangée qui se couchait derrière un paysage paisible. Un contraste choquait entre une tempête de couleur sur la majorité du tableau et le silence enchanté d'un horizon champêtre légèrement édulcoré par le coucher du soleil. Le plus étrange semblait une deuxième source de lumière ajoutée par le peintre comme si le panorama avait été saisi sur une terre à deux étoiles. La vision de l'artiste ne se contentait pas de poser de la matière colorée ; regarder le tableau correspondait à lire une sorte de roman qui contenait l'esprit et la clairvoyance du moment peint. Le phénomène le plus curieux relaté par de nombreux visiteurs restait l'effet de profondeur qui se dégageait de l'œuvre. De nombreux témoignages informaient d'un fait étonnant : quelquefois la configuration des nuages changeait. Il était parfois possible de voir les mouvements des nuées dans le ciel. Certains parlaient même d'entendre des murmures s'élever de la toile ou relevaient des odeurs surprenantes et inconnues. Puis enfin, d'autres juraient avoir observé des objets singuliers traverser la toile. Après le passage des experts, ceux-ci démentirent que ce tableau possédait des propriétés surprenantes ou extraordinaires. Les scientifiques mettaient les visions des visiteurs sur le compte de l'aura particulière qui entourait cette œuvre. Le mystère de son origine ajoutait à l'imagination fertile du public. Ces manifestations permettaient d'augmenter la célébrité du Museum et surtout sa fortune. Un jour, lors de la visite de la salle par une dizaine d'écoliers, un événement ajouta à l'étrangeté de la peinture. Tous les enfants disparurent au même moment. Les accompagnateurs ne purent expliquer le phénomène. Un instant, il y avait douze personnes puis l'instant d'après il ne restait plus que deux adultes présents dans la pièce. Les caméras de contrôle ne furent d'aucune utilité pour les enquêteurs. En effet la disparition des élèves apparaissait bien sur les films qui n'indiquaient pas où ils étaient partis. Quelques jours plus tard, les couleurs de la peinture se mirent à couler, comme si elles pleuraient. Les teintes suintèrent le long du tableau pour s'agglutiner sur le sol. Le paysage disparut. Puis ce fut le tour de la toile qui commença à se désagréger, à s'effriter puis à tomber en poussière. Enfin, le cadre en buis se désagrégea aussi pour devenir sciure à terre. Les experts ne purent émettre aucune hypothèse. Les enquêteurs ne retrouvèrent jamais les disparus.A des milliers d'années-lumière de la Terre, une planète gravitait lentement autour d'une immense étoile orangée accompagnée d'une campagne de même couleur. Dans la campagne luxuriante se réveillèrent dix enfants. Ces derniers furent accueillis par des milliers de pétales de fleur. Tout en riant, ils gambadèrent sur sol d'Edena.