18. Ephémères

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« Quand ils voient un miracle

La plupart ferment les yeux. »

Christian BOBIN

Les nuages striaient le ciel de leurs lignes grises. Ils jouaient avec la sphère brillante suspendue au sommet de la voute céleste. Une poussière terre de sienne revêtait le chemin où les pas s'imprimaient telles des phrases passagères sur la page du temps. Un petit chien s'acharnait sur sa proie à quelques mètres. Lorsque je fus à sa hauteur, je distinguais une drôle de créature entre ses pattes. Ce qui attira mon attention ce furent ces ailes transparentes malmenées par le dogue. Quelle fut ma surprise de constater que l'être avait l'apparence d'un homme avec une taille d'à peine cinq centimètres. La peau avait une consistance laiteuse.

Sans attendre, je délivrais la créature des griffes du cabot qui détala à mes premières menaces. Délicatement, je déposais le corps meurtri au creux de ma paume. J'observais l'être qui reprenait ses esprits. Doucement, il se mit sur ses pieds. Il me regarda avec consternation. Il actionna plusieurs fois ses deux ailes puis s'éleva insensiblement pour atteindre le niveau de mes yeux. Une de ses mains plongea dans une sorte de besace qui pendait contre sa hanche droite. Il ouvrit sa paume et souffla sur sa main. Une poudre dorée me frappa le visage.

Les merveilles de la nature se révélèrent à mon esprit. Planant au-dessus des herbes et des fleurs sauvages, des myriades de compatriotes de la nature vagabondaient de coroles en coroles. Les teintes se faisaient plus lumineuses. Le ciel apparut plus coloré avec des nuances que je n'avais jamais appréhendées. L'être me parla délicatement au creux de l'oreille comme le murmure d'une source rafraichissante dans la forêt.

« Ceci est un cadeau que je vous offre pour mon sauvetage. »

« Le monde est différent. »

« La poudre dorée vous a ouvert les yeux sur la réalité. La nôtre. »

« Qui êtes-vous ? »

« Notre peuple se nomme Ephémère car nous vivons un jour et une nuit. »

« C'est bien peu. »

« Peu importe le temps lorsque notre existence se vit avec intensité. »

Mon regard embrassa le nouveau théâtre qui s'offrait à ma compréhension. Les éphémères jouaient, se chamaillaient, se caressaient, défilaient en longue parade, vivaient ardemment. Les relations étaient vraies. Les amours s'avéraient authentiques. Les joies s'offraient comme des offrandes. Et au petit matin, ils quittaient ce monde avec la satisfaction d'avoir vécu une existence de bonheur comblé. Leurs petits corps se liquéfiaient pour offrir une rosée aux végétaux qui avaient été leur terrain de jeu.

Toute mon existence, je profitais pleinement de ce présent. Je conservais ce don jusqu'à mon dernier souffle sans le révéler à personne. Lorsque je me trouvais moi-même au dernier instant de mon existence, après avoir joui de cette magnifique vie, je confiais ce secret à un enfant qui passait par hasard près de ma couche ; si tenté que le hasard exista ! En soufflant sur ses paupières, une poudre dorée lui ouvrit ses yeux. En mourant, mon corps se répandit aussi en une eau bénéfique pour la nature. Il y a en ce monde plus que notre imagination ne peut l'appréhender. Il suffit de s'émerveiller pour que la joie nous inonde de ses bienfaits.

« Et – comme ce spectacle illusoire s'est dissipé –

Sans qu'il en reste même une vapeur. Nôtre est l'étoffe

Dont les rêves sont faits, et notre petite vie

Est cernée de sommeil. »

La tempête – William Shakespeare

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