3. La récompense

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Derrière son bureau encombré de dossiers, le contrôleur Général des Impôts Durand s’affairait à boucler la dernière affaire. La nuit débutait sa longue plongée dans le noir. Une voix glauque d’outre-tombe brisa la concentration de l’agent :

« Enchanté de voir enfin le petit fonctionnaire que j’affectionne. Certains pensent que je préfère les personnages hauts en couleur, un Saddam, un Kadhafi, voire un Hitler. Ils se trompent. J’estime tout particulièrement les petits gens ; ces personnes ordinaires qui se protègent derrière les lois, les règlements, leur fonction, pour poursuivre mon œuvre. Toutes ces petites mains indispensables aux rouages des machines à broyer les innocents, toujours zélées à appliquer la moindre législation inique pour assouvir leur soif de grandeur, de pouvoir. »

« Qui êtes-vous ? » demanda le Contrôleur Général.

« J’ai de nombreux noms. D’ailleurs peu importe comment vous désirez m’appeler cela ne change pas au motif de ma venue. »

« Que voulez-vous ? » interrogea Mr Durand.  

« Rien, vous m’avez comblé au-delà de toute attente. Il était normal que je vienne en personne vous féliciter. »

« Je ne comprends pas ? » déclara le bureaucrate.

« Je vais m’en expliquer. J’adore, si je peux m’exprimer ainsi, comment vous menez votre travail. Prenez par exemple, comment vous avez réglé le dossier de la Famille Costa. Vous en souvenez-vous ? »

« Non. » répondit sèchement l’homme.

« Voyons ! Tout mensonge est vain avec moi. Comment ne pouvez-vous pas vous souvenir du plaisir que vous avez eu de détruire cette famille ? Comment vous avez savouré chaque instant de la chute dans la misère de M. et de Mme Costa et de leurs deux enfants, ces gens qui avaient l’outrecuidance d’être riches et heureux. N’est-ce pas ?

Quand vous avez découvert qu’ils n’avaient pas payé leur impôt depuis dix ans, quelle jouissance avez-vous eu d’effectuer le redressement fiscal ! Vous avez fermé les yeux sur le fait que M. Costa était de bonne foi, que l’argent avait été entièrement détourné par l’avocat véreux de la famille. Quelle fut votre satisfaction, lorsqu’il se suicida ! Cela ne prouvait-il pas sa culpabilité. Auprès de la police, vous avez bien insisté sur cette vilaine affaire, en accablant bien cette famille, faussant les indices. Car, vous saviez bien au fond de votre conscience que tout cela était le résultat d’un meurtre déguisé en suicide par l’avocat. Et lors de la succession, vous avez insisté pour que l’administration fiscale se serve avant, bradant les biens de la famille Durand. Quelle délectation à la mort de Madame et de ses deux enfants qui sont morts de froid et de faim dans une cabane en bordure de leur ancienne propriété. J’ai beaucoup apprécié ces moments de délice. »

« Que des mensonges tout cela ! » s’insurgea le fonctionnaire.

« Mais vous n’étiez pas à votre première petite vengeance avec la vie. Et si nous passions à l’affaire de l’entreprise de M. Tourmenta ! Cette fois, une erreur du comptable a été le bon prétexte pour ruiner cette personne. Il est vrai que c’était un concourant important de votre belle famille. Le ravissement était double. Le contrôle fiscal a été très sévère, disproportionné par rapport au préjudice subi par l’administration. Vous n’avez donné aucune chance de redressement à cette société, vous avez bien insisté auprès du Juge sur les forfaits délictueux (imaginaires) du chef d’entreprise. Quel excellent résultat vous avez obtenu dans cette affaire ! Le licenciement de dix personnes a entrainé toute une série de malheurs, une vraie joie pour moi, divorces, pertes de logement, et un ouvrier qui devint SDF. Un vrai régal. Sans parler de la famille Tourmenta qui se retrouva elle aussi à la rue. Sans travail et sans domicile, elle s’entassa dans un petit appartement du service social. Les enfants ne purent continuer leurs études, et eurent des difficultés à trouver du travail faute d’un bon diplôme. L’un d’entre eux est d’ailleurs mort d’une overdose. Vraiment je vous félicite, un excellent travail. »

« Mais que désirez-vous ? »

« Mais je vous l’ai dit, je suis venu vous féliciter. »

« Qui êtes-vous vraiment ? »

« Vous n’avez pas encore deviné ? »

Le fonctionnaire avait bien une petite idée mais il n’osait pas prononcer le nom qu’il avait en tête. Il pensa à tous les dossiers où il avait pu jouir de ses petits plaisirs contre la vie. Toutes ces personnes qui ont demandé un arrangement avec l’administration fiscale et, en refusant, il a pu se venger contre cette existence en repoussant, avec contentement, toute souplesse. Alors, il se jeta par la fenêtre. Il fut tué sur le coup.

« Vous êtes une véritable perle, monsieur Durand, » déclara l’inconnu au fonctionnaire devenu fantôme. 

« Que voulez-vous dire ? » demanda le mort.

« Au lieu attendre demain matin, où vous auriez eu un accident mortel, vous avez préféré vous suicider. Je le répète, une véritable perle. »

« Est-ce que je vais aller en Enfer ? »

« Vous n’avez rien compris, Monsieur Durand. Vous y étiez ! Vous étiez l’instrument qui a rendu cette Terre un Enfer ! »

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