2 Octobre

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Eddie avançait doucement, baissé et sur la pointe des pieds, retenant d'une main serrée, le tintement de sa lampe torche, accrochée à sa ceinture.

Il regardait sans cesse en arrière, frôlant les murs rapidement et en silence. Dès qu'une porte se trouvait à portée de main, il posait la main sur la poignée et essayait de la déverrouiller.

Les cinq première tentatives s'étaient toutes soldées par un échec, et la sixième, n'annonçait rien de mieux.

Derrière lui, il essayait de ne pas remarquer les frottements, les bruits de pas et les gémissements de terreur qui émanaient de la bouche des adolescents, qui imitaient les moindres de ses gestes et qui s'arrêtaient, à la seconde même où il faisait de même.

Il n'avait jamais autant senti son coeur battre dans sa poitrine depuis l'attaque surprise de son convoi aérien en Afghanistan. Ce jour-là, il a cru qu'il allait mourir, et en y repensant, ça aurait dû être le cas.

Son escadron entier était à terre, la moitié de ses camarades étaient blessés, inaptes à tenir une arme, et le cadavre de l'hélicoptère brûlait encore, emportant en fumée, les dernières caisses de munitions et les dernières valises de matériel de secours. Ils s'étaient retranchés derrière un monticule de roches poussiéreuses et recouvertes de plantes urticantes, et les impacts de balles, faisaient voler des éclats de pierre au dessus de leurs têtes, ricochant contre leurs casques et la poussière s'infiltrant en une pluie fine de sable et de terre, dans l'encolure de leurs uniformes.

Le vacarme assourdissant les empêchait de s'entendre, et les paroles, criées dans les airs, s'en allaient au loin, emportées par le vent. Eddie ne savait plus vraiment où il était, alors que quelques instants plus tôt, leur escouade s'apprêtait à traverser la frontière Afghane, s'assurant un retour sain et sauf au camp de base, situé plus loin en dehors des terres. Mais alors qu'ils pensaient avoir remporté leur dernier affrontement, après avoir saisi les caches d'armes volées et la plupart des bases militaires de l'ennemi, le missile, lancé de derrière une bute plongée dans l'obscurité, les avait percuté de plein fouet, emmenant l'oiseau de métal dans un tourbillon de folie vers le sol. Ils s'étaient écrasés dans un bruit de carrosserie froissée, d'os brisés, de verre pilé et d'explosion sourde.

Il n'avait jamais serré la petite photo quatre par trois de Christopher entre ses doigts, aussi fort qu'à cet instant, quand il s'était retrouvé dos à leur seule protection. Le détachement Afghan s'approchait d'eux, leurs armes crachant encore leurs balles en rafales, et les flammes de l'hélicoptère, dansant dans leurs yeux animés d'une haine et d'une méchanceté cruelle, alimentée par une idéologie faussée et corrompue.

Il avait pleuré, de peur et de regret, parce que le visage innocent et chétif de son fils, qui souriait sur sa photo de classe, ses cheveux bien rangés, et ses lunettes rondes tombant sur le bout de son nez, lui rappelait à quel point il l'aimait, et qu'il n'était pas près de lui pour les fêtes de Noël. Il n'avait pas été près de lui pour ses premiers pas, bien que bancals et retardataires. Il n'avait pas été là pour son premier jour d'école, Christopher avançant sans assurance vers les portes du bâtiment, alors que sa mère le regardait faire, un brin de fierté dans les yeux

Il avait été là pour la première dent de lait qui tombe, mais celles qui suivirent étaient presque identiques aux autres et il n'y avait pas de quoi en être fier.

C'était ce sentiment de déception, qui le rongeait de l'intérieur et qui l'avait poussé à lutter pour sa survie et qui l'avait fait prier si fort qu'il s'en était presque déchiré les cordes vocales.

Il ne se souvenait que vaguement de l'hélicoptère de la deuxième équipe, qui arrivait enfin à leur secours, alors que tout semblait perdu pour eux, et qui leur signait un billet de sortie. Il s'était évanoui avant même qu'ils ne posent l'appareil à terre, épuisé, et blessé.

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