6 Novembre

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Dans les airs, des feuilles incandescentes virevoltaient, balancées par le vent qui jouait avec elles. Les petites flammes qu'elles dessinaient dans le ciel étaient pareilles à un nuage de lucioles en migration vers les points paisibles et secs. Elles venaient épouser l'herbe grasse dans un silence parfait et s'éteignaient quand le papier était entièrement carbonisé, n'étant devenu plus qu'une minuscule boule noire chiffonnée, détruite par le vent qui les désintégra en fine poussière de cendres.

Le bois craquait, l'air chauffait et la pétarade du gaz qui s'échappait des conduites, résonnait comme une fusillade au loin. Les sirènes criaient encore et l'alarme de la voiture, écrasée par un pan de mur effondré, avait laissé la place aux phares qui s'étaient mis à clignoter pour donner l'alerte. Personne ne s'en occupait. Tous étaient trop sonnés, choqués et paralysés par la détresse. Une partie du toit s'était effondrée, emportant avec elle l'un des deux étages du motel qui penchait sur le côté affaissé. Des décombres, gisaient des mains inertes, et entre deux poutres, un bras tendu essayait de chercher quelque chose auquel s'accrocher.

La porte d'entrée de l'auberge n'était plus qu'un trou béant et sombre, d'où une fumée noire et épaisse s'échappait avant de monter et de tâcher le ciel noir d'un gris étouffant et piquant. Dans cette entrée privée de sa porte, deux formes humaines émergèrent tels des boulets de canons lancés à l'aveugle. La fumée les suivait, accrochée à leurs vêtements noircis pas la suie, et leurs cheveux dégageaient une chaleur indécente. Dans leurs bras, deux personnes. Les mains autour de leurs cous, deux enfants, tenant leurs peluches entre leurs doigts figés, cachaient leurs visages dans la peau des deux hommes qui venaient de les sortir de l'enfer. Si frêles et fragiles dans leurs petits pyjamas, le petit garçon était pieds nus et les chaussons de la petite fille n'avaient plus rien à voir avec les licornes qu'ils étaient autrefois. Maintenant, ils ressemblaient plus à de vieilles peintures fondues et défigurées, outil de décoration d'un plateau de film d'horreur.

Eddie et Evan veillèrent à les poser délicatement au sol, là où l'herbe était encore intacte et où le vent ne dirigeraient pas les fumées asphyxiantes dans leur direction. A peine posés, les deux petits se rapprochèrent et se serrèrent l'un contre l'autre, tous tremblants.

Evan tourna la tête, l'air inquiet et soucieux et ne pu retenir son souffle de soulagement en reconnaissant les deux parents qui s'étaient rués à leur suite, apparaître dans le trou noir. Ils toussèrent des nuages noirs, se passèrent les mains devant les yeux et se consultèrent d'un regard très concis pour s'assurer qu'ils étaient bien en vie tous les deux. Dès qu'ils aperçurent leurs enfants, une trentaine de mètres plus loin, ils se ruèrent vers eux et se laissèrent tomber à genou pour les enlacer.

"Restez ici et attendez l'arrivée des pompiers, ordonna Eddie en s'accroupissant quelques secondes. Vous allez vous en sortir, c'est fini."

Le père, bien trop occupé à ravaler ses larmes anxieuses et soulagées, se contenta d'opiner du chef en lui jetant un regard redevable.

Evan fit un signe de tête et tous les deux entamèrent la même foulée synchronisée en se dirigeant vers le motel, d'où des visages et des cris résonnaient encore.

"Stop!"

Ils s'immobilisèrent, et tournèrent la tête d'un même geste vers l'homme qui venait de les interrompre.

S'efforçant d'arriver jusqu'à eux le plus vite possible, le visage du type était invisible, caché par les gyrophares de sa voiture de fonction qui balayaient la bâtisse et tout ce qui se trouvait autour de bleu et de rouge.

"Allez vous en d'ici! C'est trop dangereux!"

Il faisait des gestes frénétiques, hasardeux et maladroit, son regard attiré comme un aimant par le brasier qui grossissait sur sa droite, tout en se frayant un chemin entre les poutres éclatées, les murs pillés, les meubles démembrés et les détritus délaissés. Il arriva essoufflé.

War of MemoriesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant