30 Octobre

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Dans le reflet de la vitre du taxi, Evan essayait d'ignorer son regard agar et l'inquiétude qui transpirait de chacune de ses cellules.

Les gouttes de pluie menaient une course effrénée le long de la vitre électrique et de temps à autre, il en observait une, pariant qu'elle arriverait la première. Comme toujours, ce n'était jamais le cas, elle se faisait toujours doubler par une autre, plus fourbe et plus rapide.

Le panneau "Vendu" qui était planté dans le jardin, faisait pitié sous ce temps misérable et ce ciel couvert. La peinture blanche bavait sur le fond jaune et tâchait l'herbe fraîchement tondue, qui était battue par le vent puissant. Le saule pleureur se faisait malmener par les bourrasques qui venaient de tous les sens, et même dans la voiture, Evan pouvait entendre le sifflement strident du vent qui s'infiltrait par toutes les interstices du véhicule. Il resserra les bras autour de lui, appréciant la chaleur réconfortante de sa veste molletonnée et souffla par le nez. Une trace de condensation apparu sur la vitre, et une pulsion enfantine lui donna des fourmis dans les doigts.

Il était bien trop préoccupé par ce qu'il pourrait bien advenir de sa maison.

Les lumières à l'intérieur étaient toutes éteintes, et bien qu'il était encore tôt, l'obscurité était tombée. Rien que dans l'habitacle du taxi, il n'était pas certain de bien discerner le conducteur, tourné vers la route. Le fait que sa maison, paraisse si vide et si triste, lui fit croire que les nouveaux locataires n'avaient pas encore mis un pied dans leur nouvelle demeure. Pourtant, le vélo rose, posé contre la barrière en bois sur le côté du jardin, et la nouvelle panoplie de nains de jardins alignés dans l'allée, montraient bien que quelqu'un était déjà venu. Il savait que ça ne pouvait pas être les derniers vestiges de la vie de ses parents, ils avaient les nains de jardin en horreur et le vélo de Maddie avait toujours été bleu clair.

Il ne comprenait pas ce qui les avait poussés à vendre la maison, sans rien leur dire. Ou peut-être que Maddie était au courant, mais qu'elle ne lui avait pas appris la nouvelle, pensant qu'il s'en ficherait.

Il ne s'en fichait pas, il était en colère.

En colère d'avoir fait tout ce chemin pour voir ses parents, essayer de discuter avec eux et de passer un peu de temps en leur compagnie dans l'espoir d'arranger certaines rancœurs passées, et se rendre compte que la maison dans laquelle il est née, et dans laquelle il a vécu pendant plus de vingt ans, avait été lâchement abandonnée aux mains de parfaits inconnus. Est-ce que lors de la visite avec l'agence immobilière, les nouveaux arrivants avaient eu une explication pour les traces de crayon papier sur l'une des encadrures de la porte du salon? Est-ce qu'ils avaient remarqué la couche de peinture qui avait été refaite dans le mur du couloir pour cacher le plâtre qui recouvrait le trou causé par sa tête quand il avait jugé intelligent de faire du skate à l'étage? Est-ce que la tâche de dissolvant sur la moquette de la chambre de Maddie se voyait toujours ou est-ce que le temps avait effacé la trace, tout comme il avait effacé le blanc de la façade neuve et le gris du toit autrefois en ardoise?

Il était surtout en colère, de savoir, de comprendre, qu'il ne verrait plus jamais ces souvenirs, qu'il ne pourrait plus jamais se remémorer ces instants, ces endroits dans la maison, où il avait ri, ou il avait pleuré, ou il s'était battu avec son père, ou il avait levé les yeux en écoutant sa soeur au téléphone, ou il avait soufflé, baillé, ou ne serait-ce où il s'était assis. L'envie de sortir de ce taxi, de se précipiter sur le perron et de frapper à la porte lui démangeait, mais le temps était comme un avertissement; il n'avait plus rien à faire ici.

Il tourna la tête vers le chauffeur et passa la tête entre les deux sièges de devant.

"A l'aéroport s'il vous plaît." Lança t-il en s'affalant dans le fond de son siège.

War of MemoriesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant