25 Novembre

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Elle n'avait pas bougé en vingt minutes. Elle avait déjà rongé tous les ongles de sa main droite mais ses doigts étaient toujours glissés entre ses dents, l'émail de ses incisives s'abîmant sur son pouce. Son regard posé dans le vide et sa jambe tressautant inlassablement, elle n'arrivait pas à se retirer les mots de la tête. L'encre noire baveuse dégoulinait encore dans son esprit et l'odeur du papier humide embaumait toujours l'air.

La pluie s'était enfin éteinte et le toit de la maison s'était enfin tu, cessant d'amortir les gouttes acides de l'eau. Les feuilles des bananiers faisaient ruisseler les dernières réserves et les escargots étaient de sortie.
Ça faisait bien longtemps que Los Angeles n'avait pas été frappée par une telle averse, mais pour une fois, Ellie n'en était pas réjouie. Pour une fois, elle n'était pas ravie que l'automne domine le ciel. Elle qui aimait tant se rouler dans une chaude couverture, une tasse de café brulant à la main, des chaussettes remontant jusqu'à ses mollets, l'obscurité de la nuit tombant peu à peu sur les fenêtres de son salon, laissant tout le loisir à la télé d'exposer ses plus belles couleurs. Elle adorait sentir l'odeur des feuilles mortes, sentir l'odeur du bois brûlé, et du sol humide en pleine forêt. 

Mais aujourd'hui, alors que ses doigts trituraient le couvercle de son paquet de cigarettes, effleurant le dessus des Camel cylindriques, elle ne voulait pas sortir. L'extérieur ne l'attirait plus autant qu'autrefois, ou alors, bien trop. Elle voulait effacer ces images douloureuses que son cerveau la forçait à revoir, encore et encore, comme l'extrait d'un film qu'elle haïrait plus que tout sans pouvoir s'empêcher de détourner le regard. 

La lettre du médecin était sur le rebord de la table, la pliure du papier cachant la moitié du courrier, et la partie la plus importante.

Les résultats. 

Elle avait lu le papier une première fois, appréhendant chaque mot, les doigts tremblants et les yeux grands ouverts. Elle ne voulait pas louper une seule lettre, ou déformer la structure d'une quelconque phrase. Le ton presque solennel du Docteur Wellington l'avait d'abord brusqué. 

Ce n'était pas si dramatique, si? Qu'est-ce que ça pouvait être? 

Qu'est-ce que les analyses avaient pu révéler qu'elle ne savait pas déjà? 

Les termes scientifiques, elle les avait compris. Ses études lui offraient au moins un moment de répit, et elle n'avait pas eu besoin d'aller sur internet pour savoir ce que la schizophrénie entraînait et ce qu'elle créait. Elle n'avait pas besoin de se demander si le verdict était faussé, si elle avait mal vu, car, depuis des mois, elle le ressentait. Elle ressentait cette désagréable impression de n'être jamais seule, d'être constamment observée et d'être privée de ses propres choix. Depuis des mois elle n'avait fait que se demander pourquoi son esprit s'éloignait autant de la réalité, pourquoi elle parlait souvent toute seule, sans savoir ce qu'elle faisait, ou pourquoi elle avait l'impression que la plupart des voix qu'elle percevait étaient toutes dans sa tête. 

Tout devenait clair, tout s'expliquait. 

Les moments d'absence quand elle était assise dans son fauteuil dans son cabinet, un calepin dans la main, les jambes croisées et le regard perché vers ses patients, écoutant leurs détresses envahir la petite pièce, alors que dans sa tête, des images qu'elle n'avait jamais vues avant se matérialisaient, comme des souvenirs qu'elle aurait conservés toutes ces années. Tout s'était dégradé ces dernières semaines. Elle n'avait rien dit, n'avait fait qu'avancer, essayant d'ignorer ces ombres qui la suivaient partout comme de petits bouts d'elle qu'elle avait laissé s'échapper. 

Elle laissa ses pensées s'échapper également, s'en allant si loin qu'elle n'entendit pas le bruit de la voiture qui entrait dans l'allée ou même la clé dans la serrure. Elle sursauta quand les talons résonnèrent sur le parquet en bois. Elle essaya de ne pas frémir en sentant la main fine se glisser dans son cou. 

War of MemoriesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant