War of Memories

5 Novembre

Eddie avala la dernière gorgée de rhum blanc et une fois la dernière goutte ayant dévalé son gosier et ayant disparu dans le fond de sa gorge, il planta la bouteille dans la terre meuble et retint un relent amer. Evan ricana, surpris de la descente plus que compétitive de son collègue et retenant une légère frustration de s'être fait volé les derniers centilitres de cet elixir si cher à son coeur. Il détestait le rhum, c'était ignoble, ça griffait ses muqueuses comme de l'alcool à brûler et ça restait pendant des heures sur le bout de langue, dégageant une haleine impossible à duper. Mais c'était ce qu'il avait trouvé de plus fort et de moins cher, et ça, au moins, il pouvait l'ingérer sans s'en inquiéter. Il voulait avoir au moins une chose qu'il pouvait contrôler, pendant que c'était encore possible.

Mais Eddie venait de finir la bouteille, et s'il avait cru au début que c'était pour l'empêcher de le faire à sa place, Evan commençait à croire que son collègue avait lui aussi, une envie irrespressible de tout défoncer. Il avait passé les quinzes dernières minutes à balancer ses pieds dans le vide, ayant insisté pour monter sur le toît de la crique, histoire de comprendre, ce que son collègue avait pu trouver d'agréable à s'asseoir sur de la vieille pierre granuleuse.

La vue. Elle n'offrait pas grand chose en dehors de quelques arbres épineux et de branches dénudées, mais elle donnait la possibilité de pouvoir voir tout ce qui se passait dans le cimetière, ne laissant la place à aucun recoin caché ou tombe délaissée. C'était le centre de convergence de toutes les allées, et perchés sur le tombeau sacré d'un type inconnu mort pour le pays, Eddie avait pu voir pour la première fois, les deux structures abritant les dépouilles de Bruce et Brandon Lee. Il ne savait pas ce que le fait de se trouver à seulement quelques mètres de ces deux légendes lui causait, mais il s'était attendu à quelque chose de plus grand, plus estravagant. Pas à ce qu'elles ne soient que banales, confondues parmis les autres comme si l'homme qui reposait sous ce carré d'herbe tondu n'avait pas porté un nom se répercutant dans tous les pays du monde. C'était humiliant, décevant, et presque blessant, de se rendre compte que l'importance d'un être ne tenait qu'à un fil, et qu'à l'instant même où la mort décide de balayer une âme, son nom ne devient qu'une ligne de plus dans un journal quotidien.

Eddie se demandait si Jack, Timmy, Leila, Jeff, Hamir, Saul et Snap avaient eux aussi, hérité d'une pierre à l'allure modeste et minimaliste. Il se demandait, si les noms de ces soldats étaient eux aussi recouverts par de la mousse, cachés par des herbes hautes ou même mélangés à d'autres. Peut-être que Saul reposait à côté d'un tueur en série, lui qui avait en horreur les plus grandes ordures de la terre. Timmy aurait fait un infarctus en apprenant que Snap avait été enterré dans une fausse commune, personne n'étant venu l'identifier ou réclamer son corps. Une fausse sans nom, sans pierre, sans visage ni fleurs. Un inconnu, oublié, délaissé.

"C'est injuste" Souffla t-il en observant la tombe de Tyler. "Ces gens ont été humains, ils ont eu de la famille, des amis, des gens qui les aimaient, et on les traite comme de vulgaires grains de poussière, sans le moindre ménagement."

Evan approuva, le ton de sa voix acerbe et renfermant un grondement étouffé, se répercutant dans sa poitrine.

"Souviens toi que tu n'es que poussière, et que tu redeviendras poussière", cita t-il en levant le poing en l'air, imitant le geste en croix d'un prêtre, prétextant tenir...Quoi? Un sceptre? Une épée?

Eddie le dévisagea de biais, un regard confus s'affichant peu à peu sur son visage en voyant son ex-collègue mimer un affrontement imaginaire, avant de décaler l'épaule gauche et d'aplatir ses deux mains sur sa poitrine, la bouche grande ouverte, les yeux jouant la surprise et de faire un son faible et mourant sur ses lèvres. Puis il laissa retomber sa tête et ferma les yeux. Il cessa de respirer.