5 Novembre

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Seattle n'avait pas la même odeur que Los Angeles.

Evidemment, les effluves de pots d'échappements, les remontées des égouts, les fumées des baraques à frites et les émanations des odeurs corporelles se ressemblaient toutes les unes plus que les autres, et il n'était pas bien compliqué de se sentir à la maison en traversant la grande ville bondée aux hauts bâtiments droits et gris et aux routes aussi larges que des avenues. Mais la différence entre Seattle et Los Angeles, c'était l'ambiance qui y régnait. Une ambiance lourde, angoissante et étouffante.

Chimney et Hen avaient rouvert les yeux il y a un moment déjà, et ils s'étaient mis à s'agiter, presque excités avant qu'on ne leur rappelle que leur escapade n'avait pas pour but de visiter la ville mais de remettre la main sur leur collègue. Ca les avait calmé presque immédiatement. Eddie avait souri, on aurait dit deux gamins devant le panneau d'entrée de Disneyland, bien qu'en y repensant, Christopher n'avait jamais eu l'air aussi impatient d'aller faire des attractions que l'étaient ses deux amis de mettre les pieds à Seattle. Bobby leur avait conseillé de profiter de la vue que leur offrait les vitres teintées du pick-up car ils ne resteraient pas plus longtemps que nécessaire.

Ils se déplaçent jusqu'à Seattle, retrouvent Evan et l'incitent à rentrer à Los Angeles pour éclairer le malentendu dans lequel il était empêtré. Simple comme bonjour.

Ouais...Simple comme bonjour.

Eddie aimerait bien que les choses soient simples, cela lui causerait sûrement moins de cheveux blancs, lui qui s'inquiétait de vieillir trop vite et de devenir plus lent et moins réactif. Les choses ne sont jamais simples quand Chimney, Hen, Bobby, Athena, Evan et lui étaient impliqués. Elles l'étaient encore moins quand Evan était dans la même pièce que lui. C'était un fait, et bien qu'il avait promis à son capitaine qu'il ne se torturerait plus avec la dispute qui avait éclaté chez Maddie et Chimney pendant leur soirée, il ne pouvait pas s'empêcher d'y repenser et de se sentir de plus en plus coupable. Et frustré à la fois.

Il avait été entraîné à subir les interventions militaires les plus difficiles, il avait été préparé aux interrogatoires forcés, aux, actes violents, aux mensonges, à la colère et à ce qu'on l'attaque. Il avait même été formé pour gérer des situations instables et des gens agressifs. Alors pourquoi n'était-il pas capable de régler les choses quand elles concernaient Evan?

A chaque fois il avait l'impression que s'il parlait trop il ne pourrait plus faire marche arrière, ou que s'il ne parlait pas assez il causerait des désastres. Quand il essayait, il se sentait terriblement con, avec la désagréable impression d'être un gamin de maternelle qui essaye d'enfiler des perles sur un fil dont le bout était abîmé. Mais quand il n'essayait pas non plus, il se sentait comme la plus monumentale des merdes, à jouer l'égoïste qui n'en a rien à foutre des autres.

Qu'est-ce qu'il était censé faire, si quoi qu'il fasse, la culpabilité le rongeait comme un acide?

Il décida, quand le moteur du véhicule cessa de ronronner et que tout le monde se détacha, qu'une fois rentré à Los Angeles, il recontacterai le docteur Spencer, au moins pour un dernier rendez-vous. Il ne l'assumerait sûrement jamais à voix haute, mais il pensait avoir encore besoin d'elle pour gérer sa vie, en attendant que quelqu'un lui montre comment faire.

S'il y avait bien une chose qui était différente à Seattle et qu'Eddie remarqua assez vite, c'était le regard des passants qui se posait sur eux. La curiosité de voir un véhicule floqué de cinq étrangers à l'air inquiet et renfrogné ne s'affichait pas souvent dans leur paysage, et s'ils les dévisageaient avec une grimace soucieuse, dix mètres plus loin, ils avaient oublié leur présence.

Ici, ils pouvaient nager dans la même eau que tout le monde. Les gens friqués passaient inaperçus dans les allées. Tout le monde se ressemblait et personne ne s'inquiétait vraiment de l'air perdu de cinq personnes penchées sur une carte. A Los Angeles, les rues puent l'argent, le dédain et la suprémacie. Impossible de sortir pendant cinq minutes sans croiser une voiture aux vitres teintées d'une marque de luxe ou un attroupement de gardes du corps qui encerclent une nouvelle personnalité.

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