5 Octobre

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"Et qu'est-ce qu'il s'est passé?"

Eddie tourna la tête vers le docteur. Aujourd'hui, elle portait du rouge. Une robe longue à fleurs, avec des talons compensés noirs et un bracelet doré. Ses cheveux étaient détachés et tombaient en cascade sur ses épaules. Ils étaient brillants, soyeux et paraissaient très doux. Ses lèvres rouges étaient maquillées et ses cils allongés. Elle paraissait être en meilleure santé que lors de leurs premières séances, et son sourire, lui, était plus étiré. 

Que s'était-il passé depuis? Est-ce que son mari s'était excusé, ou au contraire, est-ce qu'il était enfin parti du cocon familial? Peut-être que ça concernait ses parents. Sa mère, ou son père. L'un des deux était guéri du cancer sûrement. C'était le genre d'occasion qui pouvait changer le regard d'une personne et éclairer son visage, et aujourd'hui, elle était rayonnante. 

Toutefois, Eddie se sentait toujours autant oppressé par son regard perçant et son attitude impatiente. Encore une fois, il avait oublié le sujet de leur discussion. Elle arqua un sourcil, circonspecte. 

"Vous avez retrouvé le capitaine de la 118 et avez mis en sécurité le groupe d'adolescents. Mais il vous manque l'autre moitié de votre équipe, dont Evan. Que s'est-il passé après ça?"

Eddie souffla, son regard se portant à l'extérieur et il croisa les mains sur ses cuisses.

"Bobby était inquiet..."

C'était un euphémisme. 

Eddie avait rarement vu son capitaine, et son ami, aussi inquiet et dans l'urgence qu'aujourd'hui. A peine avaient-ils mis un pied dans la salle de classe et conduit les adolescents à l'abri, que ce dernier était déjà sur le point de se ruer dans les couloirs. C'est Hen, qui le stoppa en lui saisissant le bras avant qu'il n'ouvre la porte et l'interrogea du regard. 

"Qu'est-ce que tu fais Bobby?" S'enquit-elle, alarmée. 

Il se dégagea de son emprise et les dévisagea tous les deux. 

"Evan et Chimney sont encore dehors et ils pourraient tomber nez à nez avec le tueur. Ils ont besoin de notre aide."

Eddie s'avança. 

"On ne sait même pas où ils sont et c'est trop risqué d'essayer de les appeler sur les radios, si l'assassin se trouve à portée d'eux, ils pourraient entendre. C'est du suicide d'y aller." Fit-il remarquer. 

Eddie ne se reconnaissait pas. Ce n'était pas lui qui parlait ainsi. 

Avant, jamais il n'aurait hésité pour s'exposer au danger ou courir vers la mort. En Afghanistan, il l'avait domptée plus d'une fois, et il s'était mis à croire qu'une bonne étoile veillait sur lui, car il était toujours en vie. L'intégrité de son équipe et la survie de chacun de ses membres, reposait sur le courage et sur la loyauté de chaque soldat qui la composait, et Eddie n'avait jamais douté un seul instant de ses compagnons d'arme. C'était peut-être ça qui les avait sauvés, parce que quand ils se faisaient mitrailler de tous les côtés et que tout espoir semblait résolu, c'était les ripostes de ses camarades, blessés ou mourants, qui n'avaient jamais lâché leurs armes qui lui avaient permis de survivre, lui, ainsi que les autres. Les balles commençaient à manquer et les troupes ennemies s'avançaient, et alors qu'ils étaient tous à terre, recroquevillés derrière cette roche, ils s'étaient tenus la main. Ils étaient prêts à mourir, bien que ça leur faisait peur et qu'ils espéraient que ça n'arriverait pas, mais si c'était ainsi que ça devait se terminer, alors ils étaient prêt à le vivre ensemble. 

Sauf qu'Eddie ne l'était pas, prêt. Il avait serré la photo de Christopher, en se répétant qu'il ne pouvait pas y rester, qu'il n'avait pas le droit et que son fils le haïrait si c'était le cas. Il avait pleuré et avait prié suffisamment fort pour qu'on l'entende et plus les ennemis se rapprochaient, plus la rage, la déception et la peur l'enivraient. A la fin, il ne se souvenait plus de grand chose, mais il se rappelait constamment, qu'il n'était plus lui-même. Alors c'était peut-être la cohésion de leur groupe ou un miracle qui les avait sauvés, mais au fond de lui, il savait que c'était sa rage qui l'avait fait continuer. Et depuis, ce n'était que ça qui le faisait se tenir debout. 

War of MemoriesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant