2 Octobre

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"Tu sais, quand je suis entré à l'académie militaire la première fois, j'étais plus petit que les autres. On me regardait bizarrement, parce que je n'étais pas assez grand et costaud pour entrer dans le bataillon de renseignements. Mais j'ai passé les épreuves avec succès, je suis même arrivé dans les premiers, ricana t-il, frottant la paume de sa main sur son jean. Mon père est devenu dingue, se souvint-il. Je l'entends encore me dire "Hijo mio, nunca seras parte de esta familia si usas este uniforme." S'il avait su. »

Evan pivota la tête sur le côté l'air blasé, avant de se mettre à ricaner.

"Je comprend rien à l'Espagnol Diaz."

Il sourit, le regard perché sur le visage pâle du garçon qui reposait encore sur le carrelage. Son sang s'était mélangé à la poussière, aux tâches de graisse, au vieux savon, à l'eau souillée et à la nourriture incrustée dans les joints. Ses doigts commençaient déjà à blanchir aux extrémités.

"Il ne voulait pas que je rentre dans l'armée Américaine, expliqua t-il en relevant la tête vers lui, un oeil fermé, dérangé par un rai de lumière qui s'infiltrait entre les lattes. Il était fier d'avoir réussi à entrer en Amérique autrefois, quand c'était la seule option possible pour sauver sa famille. Sauf qu'il n'a jamais vraiment réussi à s'intégrer. Il ne pouvait pas accepter le fait, qu'un mexicain serait toujours exclu de la société à cause de sa couleur de peau, de son accent, ou de sa "culture". Je ne peux pas dire qu'il n'avait pas raison. »

L'air vague que dessinait le visage d'Eddie lui fit penser à Maddie. Elle avait ce don de disparaître de la pièce en un battement de cils, quand elle se mettait à parler et que la discussion se transformait subtilement en un monologue interne.
Evan se demandait ce qui passait par la tête de son collègue.
D'un simple mouvement de poignet il redressa sa montre et alluma l'écran. Il était presque dix huit heures. Le soleil ne tarderait plus à se coucher et bientôt, les veilleuses de jour s'éteindront pour laisser place aux led des portes de sortie de secours.
Il ramena ses genoux vers sa poitrine et les serra près de lui, tentant d'ignorer l'inconfort du carrelage dur et froid.

« Tu n'arrête pas de dire « était » comme s'il n'était plus là », souligna Evan.

Eddie secoua la tête.

« On ne se parle plus vraiment, avoua t-il, l'air amer. On ne partage pas les mêmes opinions. »

Evan ne tenait pas vraiment à tenir la conversation, son attention plus captée par les battements de son cœur qui tambourinait dans son crâne. Une migraine démentielle lui vrillait les tempes et il était presque certain qu'aucun alcool fort n'arriverait à la faire partir avant un bon moment. Toutefois, il trouvait l'optique de se murer dans le silence beaucoup plus inquiétante et terrifiante que de discuter avec Eddie. Après tout, il était là, les mains ballantes, sans vraiment savoir quoi faire, alors autant parler en attendant qu'on vienne les chercher.

« J'imagine que c'est pour ça que tu es venu à Los Angeles? Suggéra t-il. J'ai su que tu avais quitté le Texas par Chimney, il parle beaucoup, s'expliqua t-il en voyant la mine douteuse du mexicain.

-Mon fils avait besoin de soins médicaux que seul Los Angeles pouvait lui fournir à cette période. Ce n'était pas vraiment par choix mais plus par obligation. Et je suis resté parce que mon fils a commencé à grandir dans cette ville... J'imagine que tu as déjà entendu parler de Christopher aussi? »

Oui, il avait déjà tout entendu de Christopher. Pas par le biais de Chimney cette fois ci, mais par Eddie lui-même.
Evan avait beau ne pas l'apprécier, il n'empêchait pas qu'il tendait toujours l'oreille aux repas du midi, aux séances de sport ou même dans la salle de repos. Bien qu'il était souvent happé par son écran de portable ou par ses manuels d'instruction, il entendait la moindre bribe de conversation qui se tenait près de lui.
C'était comme ça qu'il avait appris pour le mariage d'Athena et Bobby, pour l'intégration de May Grant au centre d'appels ou pour la demande d'adoption d'Hen et Karen pour Nia.
Mais c'était surtout là qu'il avait entendu Eddie parler de la paralysie cérébrale de Christopher, qui bien que ça le rendait différent des autres, elle ne l'avait jamais empêché d'avoir des amis, d'être plein de vie et d'être un enfant hors pair.
C'était les mots d'Eddie, pas les siens.

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