Chapitre 17 • Désillusion

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Le week-end à Cornwall rime avec vins chauds et roulés à la cannelle. Je n'ai aucune idée du nombre de brioches que j'ai englouti ces deux derniers jours, mais mon estomac ne tarde à me faire comprendre qu'il serait peut-être temps de diminuer ma consommation soudaine de sucre.

Roméo est rentré à Belleville dans la journée. Il m'a appelé sur-le-champ, souhaitant absolument me voir au parc pour me raconter son périple. Alors, c'est au parc que je me suis rendue ce mercredi après-midi. Ce qui, je dois l'avouer, est assez inhabituel puisque j'emprunte ce trajet uniquement en revenant de la fac.

L'air est frais sur le chemin du retour, le ciel est gris et les nuages ont vaincu le soleil. Les arbres se balancent au rythme du vent. Mes bottes s'enfoncent dans la neige en sortant de Riverside Park. Celle-ci paraît encore plus épaisse qu'il y a quelques jours et je retrouve un pas moins hachuré uniquement lorsque j'atteins le trottoir, où le givre est à moitié fondu à cause de la circulation.

Je suis un tant soit peu frustrée qu'il n'y ait pas plu à nouveau ; j'avais envie de balancer un je "Je te l'avais dit !" à la figure Roméo.

Mes semelles claquent contre le sol des escaliers quand j'aborde le porche de ma maison. La vague de chaleur en provenance du séjour me brûle aussitôt le visage et je suis quelque peu ahurie, à la vue de ma mère qui s'offre à moi ; une perruque blond platine sur la tête.

— Je peux savoir ce qu'il se passe ici ?

Mes parents sursautent à ma voix rugueuse.

— Opalee, tu es rentrée ! Ton père et moi, sommes en train de choisir nos déguisements pour le Nouvel An.

— Vos déguisements ? je répète, en dénouant les lacets de mes chaussures.

— On a trouvé une soirée années 80, pas loin, intervient mon père. C'est une soirée dansante, ils ne passeront que des tubes des années 80, d'où le thème de la fête, ajoute-t-il presque fièrement.

— Il y a même une patinoire ! s'enquiert ma mère.

Je retire mon manteau et prends une pomme dans le panier à fruits. Le plan de travail est recouvert de sacs plastiques qui embaument la pièce d'une odeur vieillotte. Je croque dans ma pomme.

— Et donc... Vous y allez déguisés ?

— Évidemment ! L'entrée est refusée à ceux qui ne le sont pas.

J'ai toujours admiré la façon dont mes parents parviennent encore à pimenter leur quotidien après tant d'années passées ensemble.

— Où étais-tu ? m'interroge ma mère le dos tourné, trop occupée à fixer la cravate argentée de mon père.

Je jette mon trognon à la poubelle.

— Au parc, j'étais avec Roméo.

Elle se retourne, une fois satisfaite de la façon dont retombe l'accessoire sur la chemise aux pois multicolores.

— Vous passez beaucoup de temps ensemble ces derniers temps, remarque-t-elle en s'approchant pour attraper un collier de chaînes dans un des sacs.

— On était juste en train de parler.

Je jette un coup d'œil à mon père par-dessus son épaule, mais il me semble être ailleurs, dans un monde où la danse disco a visiblement trouvé sa place.

— En fait, je l'apprécie beaucoup, j'admets en sortant une paire de lunettes roses du sac à ma droite.

Je n'ai jamais été embarrassée d'aborder ce genre de sujet avec mes parents. Même si j'ai tendance à être solitaire et introvertie, je sais qu'ils sont toujours là pour parler de quoi que ce soit et je suis reconnaissante de les avoir auprès de moi.

— Oh, vraiment ? (J'acquiesce, repose l'objet au fond du sac.) Tu sais, nous serions ravis de faire sa connaissance, un de ces jours. N'est-ce pas Henry ?

Le concerné manque de trébucher sur ses propres chaussures, interrompu dans sa chorégraphie.

— Oui, avec plaisir !

— Je tacherai de lui en parler. (Je leur offre un sourire agréable avant d'emprunter la direction de ma chambre.) Au fait, je vais au restaurant avec lui demain, pour le Nouvel An, il vient me chercher à 19h30, alors si vous n'êtes pas encore partis, peut-être que vous aurez l'occasion de le voir.

— Bien sûr !

Il s'avère que le restaurant en question n'est autre que le célèbre Earl&Angelos au 182 Front Street. Roméo m'a expliqué que l'une des collègues de sa mère travaille là-bas et que c'est, entre autres, pour cette raison qu'elle lui a conseillé. Bien qu'elle ait aussi insisté sur la divinité de leur plateau de fruits de mer.

Le soleil vient à peine de se coucher quand je me mets à la recherche d'une tenue pour ce soir. Je parcours les différents cintres de ma penderie, avant de m'arrêter sur une pièce lilas. La matière est lisse entre mes doigts et les bretelles fines mettent en valeur le col de la robe. Je me souviens l'avoir portée aux cinquante ans de mariage de mes grands-parents, il y a quelques années.

J'avais reçu pas mal de compliments à son sujet, notamment de la part de ma mère, je sais qu'elle l'apprécie beaucoup. Je me recoiffe et applique mon inséparable trait d'eye-liner. Il est 19h25, lorsque je descends dans la cuisine pour faire à nouveau face aux accoutrements déjantés de mes parents.

— Tu es ravissante ! commente ma mère.

Mon père hoche la tête depuis la salle à manger.

— Et vous, vous êtes... Ringards.

Je plisse les yeux aux multiples couleurs qui débordent de leurs vêtements saugrenus, impossible de les décrire autrement.

— Merci, s'esclaffent-ils.

— Roméo ne devrait pas tarder.

J'enfile mes chaussures et ma doudoune en velours côtelé.

Sauf qu'il n'arrive pas.

Il est 19h30 passées et aucun signe du blond. Je suis confuse, Roméo n'a jamais été en retard. Du moins jusqu'à aujourd'hui.

Je parcours mes contacts et clique sur son numéro que j'ai enregistré après son appel, au marché de Noël.

— Tu es sûre qu'il passe bien te prendre ici ?

— Oui, oui, j'en suis certaine. Il a peut-être eu un souci sur la route, mais il va venir.

20h.

Ça fait une demi-heure que je l'attends.

Une demi-heure que je n'ai aucune nouvelle.

Aucune notification sur l'écran d'accueil de mon téléphone, il n'a pas répondu à mes messages ni à aucun de mes appels. Je serre la mâchoire, mordille ma lèvre inférieure. Une boule se forme au creux de ma gorge, un goût amer se répand à l'intérieur de ma bouche.

— Nous allons bientôt y aller, Opal. (J'acquiesce à son sourire réconfortant. Elle s'approche de moi.) Peut-être... Peut-être qu'il a oublié ? Demande-t-elle avec précaution, mais je secoue brutalement la tête.

Non Roméo n'aurait jamais oublié de venir me chercher, il n'aurait jamais été en retard à une soirée à laquelle il m'a lui-même invité et il aurait toujours répondu à mes messages, quoi qu'il arrive.

— Allez-y, profitez bien de votre soirée, je vais attendre encore un peu, je prononce d'une voix fragile.

Les mèches synthétiques de sa perruque me chatouillent le visage lorsqu'elle dépose un baiser sur mon front. Puis le claquement de la porte retentit derrière eux. Je suis plantée là, au beau milieu du séjour avec pour seule compagnie mes pensées remplies d'inquiétude. Je ne sais pas comment je parviens à rester là, immobile, sans avoir la moindre idée de ce qui le retient.

Tout ce que je sais, c'est que Roméo n'est jamais venu ce soir-là.

Tomorrow Never DiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant