Chapitre 12 • Peut-être bien

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— C'est un blond qui commande une pizza, le livreur lui demande s'il préfère qu'elle soit coupée en six ou en douze morceaux. Que répond-t-il ?

Roméo se penche en arrière, il étend ses bottes dans la neige. Ses mains sont fourrées dans les poches de sa parka kaki et un soupir d'exaspération s'empare de ses lèvres. Je m'éclaircis la gorge avant de poursuivre.

— "En six, je ne serai jamais capable de manger douze morceaux !"

Il secoue la tête, réprimant un sourire qui menace de courber ses traits contre son gré puis jette sa tête en arrière contre le dossier du banc. Je l'imite.

De multiples nuages recouvrent l'air de Belleville. Cela fait plusieurs jours maintenant que le ciel est couvert. C'est encore un de ces jours où le soleil rayonne derrière l'épaisse couverture nuageuse. Le gris de la brume est un gris si brillant qu'il brûlerait les yeux de quiconque oserait l'analyser. Il fait froid cependant, très froid et l'atmosphère regorge d'une intense odeur pluvieuse.

— Dis-moi, Opal. Est-ce que tu tiens un carnet de blagues ou quelque chose ?

Je suis quelque peu déconcertée par sa question.

Est-ce réellement ce qu'il pense ?

Que je tiens un carnet de blagues depuis le début ?

— Voyons, je t'en prie. Tout est dans la tête. Je déclare, en tapotant ma tempe du bout des doigts, ce qui lui décroche un rire soufflé à mon égard.

Même si deux semaines se sont écoulées depuis la promenade nocturne dans le parc, je suis toujours un peu effacée depuis ce jour. Et pour faire preuve d'une entière honnêteté, je ne peux m'empêcher d'agir de la sorte. C'est ridicule de ma part de l'ignorer à moitié et j'en suis parfaitement consciente. La faute à mon manque de savoir faire au sujet du contact humain.

— Ma mère m'a demandé de tes nouvelles, encore, je brise le silence, Roméo pivote la tête dans ma direction.

— Tu n'as qu'à lui dire que je vais bien, affirme-t-il, souriant.

Je suppose que le sujet finira tout simplement par tomber à l'eau, jusqu'à se perdre dans les profondeurs sous-marines et ne jamais remonter à la surface. Ce qui ne serait pas plus mal, au final ; la Opal de tous les jours n'aura pas besoin de préparer une réponse trois heures à l'avance.

— Il faut que j'y aille, annonce Roméo après avoir vérifié l'heure sur son téléphone.

Je me demande où il se rend à chaque fois ; tous les lundis il quitte le parc aux alentours de 17h30, soit une heure plus tôt que les autres jours de la semaine et je ne peux m'empêcher d'être curieuse à ce propos. Cependant, je ne suis pas assez courageuse pour oser lui demander alors je me contente de sortir ma prochaine lecture de mon sac à dos.

— Au fait ! J'allais oublier...

Il fait demi-tour. Je plisse les yeux à son index pointé dans les airs. Un rictus s'installe sur ses lèvres bleuies.

— Ma mère m'a chargée de te prévenir qu'elle serait ravie de t'avoir à dîner ce week-end.

— Un dîner ?

— C'est ça.

— Bien sûr, Roméo. Ce n'est pas comme si j'avais une vie, je réponds sarcastique.

Je n'ai clairement rien d'autre à faire de ma vie.

— Parfait ! (Il ne semble pas avoir capté mon sarcasme.) Alors, samedi soir, 19h. Je te donnerai l'adresse la prochaine fois qu'on se voit.

Je m'apprête à ouvrir la bouche pour riposter, mais il est déjà parti. Me laissant seule au beau milieu du paysage enneigé.

Pourquoi diable sa mère voudrait-elle m'avoir à diner ?

— À samedi, Spiral ! lance-t-il quelques mètres plus loin avant de se retourner une seconde fois. Oh, et souviens-toi ; je fais les meilleures pâtes au pesto de l'univers.

Un clin d'œil.

C'est tout ce que j'entrevois avant qu'il atteigne le portail rouillé.

La semaine s'écoule plus ou moins vite, aussi rapidement qu'une semaine de cours puisse s'écouler. Le temps semble moins long lorsque Manelle est assise à mes côtés. Ce n'est pas comme si nous entretenions une véritable discussion, mais c'est tout de même suffisant pour empêcher les minutes de se transformer en heures.

Jeudi, je suis heureuse de présenter mon nouveau livre de la semaine à savoir, La Dernière Conquête Du Major Pettigrew. Je n'irai pas jusqu'à dire que j'ai préféré ce bouquin à Ne Tirez Pas Sur L'oiseau Moqueur, mais cela n'empêche pas le fait qu'il reste un très bon roman, bien qu'ils soient totalement différents l'un de l'autre. Il n'y a qu'une seule pensée qui trottine dans mon esprit depuis le début de la semaine et ce n'est autre que l'invitation inattendue de Roméo.

Un dîner ?

Pourquoi ?

Pour quelle occasion ?

Peut-être que sa mère désire discuter de l'exposition de bandes dessinées à laquelle j'ai assisté la dernière fois.

Je secoue la tête, non ça n'a aucun sens.

Pourquoi voudrait-elle en parler maintenant alors que l'exposition a eu lieu il y a plus d'un mois ?

Ou alors c'est une simple invitation amicale, peut-être pour faire connaissance. Oui, peut-être bien.

Aux vues du caractère de sa mère, l'amicalité de Roméo semble avoir un rapport avec la génétique. Je pince ma lèvre inférieure entre mes doigts.

Est-ce que Roméo lui a parlé de moi ?

Est-ce qu'il lui a raconté pour la nuit dans le parc ?

En fin de compte, j'ai bien informé mes parents concernant son cancer, ce qui est sans aucun doute l'un des sujets les plus personnels qui puissent être abordés. Alors, je ne serais pas étonnée qu'il raconte lui aussi des choses de son côté. D'autant plus que la relation qu'il entretient avec sa mère semble assez forte, d'une manière ou d'une autre.

Je soupire de frustration lorsqu'une brise glaciale s'échoue sur mon visage en quittant le bâtiment de la fac. Manelle monopolise la parole du couloir jusqu'à l'arrêt de bus, totalement réjouie par les fêtes de fin d'année. J'enfonce mon nez dans mon écharpe. La brune me présente un dernier signe de main, avant de s'engouffrer dans le bus et je suis reconnaissante de retrouver ma tranquillité.

C'est sous les branches aiguisées des arbres nus que j'arpente le chemin du parc.

Un dîner, un dîner, un dîner.

Ce mot tourne en boucle, à l'intérieur de mon crâne. Même si j'ai conscience d'être quelque peu pathétique, je ne peux m'empêcher de me poser une multitude de questions à ce sujet.

Après tout, il n'y a qu'un seul moyen de le savoir.

Et je compte bien en être fixée.

Tomorrow Never DiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant