Chapitre 1 • Jour de Neige

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Mes pieds s'enfoncent dans l'épais sol boueux qui recouvre le parc. Je m'avance comme tous les jours vers le petit banc en bois, savourant les minuscules flocons de neige qui s'échouent sur mon visage brûlant. J'ai toujours aimé la neige. En particulier lorsque les arbres feuillus se camouflent petit à petit sous cette couverture blanche.

Alors que certains choisiraient l'été sans hésiter, c'est plutôt vers l'hiver que je pencherai à la place. Bien que nous ne soyons qu'en automne pour le moment. Je continue mon chemin sur cette réflexion. Au fur et à mesure de ma traversée, un nuage de couleurs fondues se démêle à travers le brouillard.

Quelqu'un est assis sur le banc.

Sur mon banc.

Depuis que je me rends dans ce parc, jamais je n'ai vu quelqu'un y mettre les pieds. C'est un endroit assez isolé, à l'écart de tout, excepté une petite supérette au coin de la rue qui a fermé le mois dernier.

Sans compter que la température extérieure n'excède pas les 2°C.

Et moi qui pensais être la seule capable de me poser dehors par un temps pareil. Quoi qu'il en soit, j'espère simplement ne pas avoir à lui adresser la parole, j'ai horreur de devoir sympathiser pour faire bonne impression. En fait, je me moque de faire bonne impression. Plus je m'approche de la bordure du parc, mieux je distingue l'individu qui s'y trouve.

C'est un jeune homme, assez pâle à première vue. Ce qui reste peu surprenant lorsqu'on vit ici, au Canada, où le soleil ne pointe le bout de son nez que trois mois dans l'année. Il est emmitouflé dans une large parka kaki et d'après la légère brume qui s'échappe de ses lèvres, je devine qu'il est en train de chanter.

Enfin, fredonner serait peut-être plus juste ; même quand j'atteins le banc pour m'y asseoir, il m'est difficile -pour ne pas dire impossible- de discerner la tonalité de sa voix.

Ses yeux sont clos, il semble concentré. J'en profite pour en faire de même afin de discerner la chanson en question. Je me demande pourquoi il ne chante pas plus fort, d'après ce que j'entends il semble bien se débrouiller. Je m'assieds à ses côtés, dans le plus grand des calmes, loin de moi l'intention de l'effrayer, ou pire encore ; de l'interpeller.

Je sors un bouquin de mon sac, suivi de près par une cigarette que je glisse entre mes lèvres après m'être bataillée avec la froideur hivernale pour l'allumer.

— C'est pas bien de fumer.

À environ un mètre de distance, je remarque désormais un plus grand nombre de détails sur son visage. Comme le fait qu'il soit indéniablement pâle, bien que son teint semble hâlé en général. C'est comme si le manque de soleil au cours de cette période de l'année, empêchait les cellules de sa peau d'adopter une teinte plus dorée. J'ai l'impression que de l'avoir en face de moi intensifie cette vision et je me surprends même à ne pas le confondre avec le paysage enneigé en arrière-plan.

Ses iris injectés de bleu sont eux aussi d'une teinte claire. Seuls ses cheveux semblent lui redonner un peu de vie. De faibles mèches blondes encadrent son visage fin et rehaussent frugalement la couleur terne de son teint.

Il a l'air fatigué.

— Qui se préoccupe de moi de toute façon ? finis-je par répondre.

J'en avais presque oublié sa remarque.

— Les gens qui t'aiment.

— Quelle importance ? Nous finirons tous par mourir un jour.

Ses lèvres bleuies par le froid s'étirent dans un faible sourire, certes, mais du moins suffisant pour que de petites fossettes germent au coin de ses joues. Je rapporte mon attention sur mon livre, dans l'espoir de lui faire comprendre que je ne souhaite pas faire durer cette conversation, si l'on peut qualifier cela de tel.

— J'aime beaucoup tes cheveux, c'est original ! poursuit-il.

Visiblement, il n'a pas reçu le message.

Je hoche la tête en guise de remerciement. Ce serait un mensonge d'affirmer que je reçois beaucoup de compliments et plus encore lorsqu'il s'agit de mes cheveux blancs comme neige. Pour être honnête, c'est même la première fois qu'on me flatte à ce sujet.

Un regard bleu persiste sur ma gauche.

Ce n'est qu'à cet instant que je me rends compte qu'un hochement de tête n'est sans doute pas suffisant.

Et je me fiche peut-être de faire mauvaise impression, mais loin de moi l'idée de paraître impolie.

— Merci, j'ajoute.

J'ai toujours eu du mal à communiquer avec les gens. Peut-être est-ce la raison pour laquelle je n'ai personne sur qui poser l'étiquette 'amitié'. Ou bien est-ce parce que je viens à peine de rentrer en seconde année de fac et que je n'ai pas encore eu le temps de sympathiser avec les élèves de ma classe ?

Je penche en fin de compte pour la première option ; je n'ai jamais été très sociable, mais je ne compte pas changer les choses pour autant. Je suis très bien comme je suis.

— Il faut que j'y aille, lance-t-il depuis l'autre bout du banc. À un de ces jours peut-être.

J'acquiesce à contre coeur, peu réjouie à l'idée de devoir converser avec lui dans un futur proche.

Le blond m'adresse un dernier sourire avant de se lever de la planche en bois. Et quelques secondes plus tard, il est complètement englouti par l'épais brouillard gris.

Tomorrow Never DiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant