Chapitre 15 • Le Dernier Chic Type de Belleville

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À mon réveil j'ai l'impression d'avoir dormi une éternité ; je suis dans un brouillard complet, impossible d'ouvrir les yeux.

Je remue doucement sous la couverture chaude, l'enroule un peu plus autour de moi. L'orage a continué jusqu'au matin, résonnant au cours de la nuit. C'est peut-être à cause de ça que j'ai décrété que le lit de Roméo est la chose la plus confortable que je n'aie jamais connue. Son matelas est ni trop dur, ni trop mou. Ni trop large, ni trop étroit et ses couvertures en plumes sont idylliques pour un hiver comme celui-là.

Mes sens s'éveillent petit à petit, je réprime un bâillement las. Bientôt je suis assez lucide pour discerner une douce mélodie qui flotte onctueusement à travers la pièce.

C'est un piano.

Je me redresse sur mes coudes, après m'être frottée les yeux.

Roméo est assis sur le petit tabouret en velours noir, devant l'imposant instrument à cordes. Ses doigts parcourent les touches d'une grande délicatesse. Je remonte mon regard jusqu'à ses bras ; ses muscles sont plus ou moins tendus, selon l'intensité de ses mouvements. C'est quand mes yeux atteignent son visage, bien qu'il ne soit que de trois quarts, que je discerne une expression appliquée voyager sur ses traits.

La mélodie sonne comme une placidité absolue au creux de mes tympans, je parviens enfin à attribuer un nom au morceau.

Comptine d'un autre été, l'après-midi.

C'est alors que je prends la décision de ne pas me lever tout de suite. Je replonge dans les oreillers moelleux, puis m'effondre sous la couverture tout en m'assurant de garder un regard des plus discrets sur le blond. Toutefois, le bruit sourd de la housse de couette l'interpelle et il cesse de jouer pour se tourner vers le lit.

— Tu es réveillée ?

Sa voix est une douce accalmie.

— Non.

Je referme aussitôt les yeux. Il pouffe de rire à l'autre bout de la pièce.

— Je sais que tu es réveillée, je t'ai vu me regarder.

— Bon sang, quel genre de personnage surnaturel es-tu pour avoir des yeux derrière la tête ?

Mon timbre est rocailleux à cause de mon réveil récent. Bien que mes paupières soient toujours closes, je suis consciente qu'il vient de s'asseoir sur le bout du lit car le matelas s'affaisse sous son poids.

— Tu ne peux pas rester ici pour toujours, souffle-t-il, dans un murmure à peine audible.

— Si, je le peux.

Un seul de mes yeux s'ouvre malgré la paresse pour croiser son sourire matinal.

— Si tu me laisses le faire.

— J'aimerais pouvoir.

J'entreprends de lui renvoyer son sourire, mais je ne serai pas étonnée s'il ressort comme une grimace à travers mes traits fatigués. Le matelas semble tout à coup plus léger lorsque Roméo se redresse, il emprunte le chemin vers la fenêtre pour ouvrir les volets en bois. La lumière du jour entre en contact avec mes pupilles endormies. Je grogne dans mon oreiller.

— Lève-toi paresseuse !

— Je suis peut-être paresseuse, mais moi, au moins, je ne m'endors pas devant un "classique de chez classique", je rétorque en imitant sa voix.

— Je ne sais pas ce qui est pire honnêtement ; s'endormir devant ou ne jamais le regarder.

Je n'ai pas le temps de réagir que Roméo me jette un coussin en pleine figure ce qui me décroche une suite de grommellements.

Tomorrow Never DiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant