Chapitre 26 • Le lac d'Ontario

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1. 2. 3.

3 jours que je n'ai pas adressé la parole à Roméo.

3 jours, que je m'en veux de ne pas l'avoir fait.

En rentrant à la maison, ce jour-là, je suis directement montée dans la salle de bain pour prendre une douche. Comme si le besoin de débarrasser mon épiderme de toutes ces déclarations soudaines, devenait de plus en plus insoutenable. Au point que j'aie rendu l'eau si chaude qu'elle m'a brûlé la peau.

Mais la douleur ne m'a pas dérangée.

Mon corps abordait une teinte rouge vif lorsque je suis sortie. Et le pire dans tout ça, c'est que je ne me sentais pas mieux pour autant. Ma soif de solitude semble plus importante que je ne le pensais. C'est la réflexion que je me suis faite après avoir passé mes journées à lire, enfermée dans ma chambre. Je suppose que je suis arrivée à un stade où mon corps ne supporte plus d'apprendre de nouvelles informations.

D'autant plus lorsque celles-ci sont aussi déroutantes. 72h se révèle être la durée minimale pour reconstruire petit à petit, les parties brisées au fond de moi. Et c'est au bout de ce laps de temps que je réussis à faire le vide dans ma tête.

On a toujours le choix ; abandonner quand la vie devient difficile ou lutter pour ce en quoi nous croyons. Beaucoup font le premier choix, abandonnent lorsque les choses se corsent. La plupart d'entre nous n'essayons même pas de surmonter les problèmes auxquels nous sommes confrontés. On se dit simplement "Ça ne sert à rien, je vais perdre de toute façon" ou "À quoi ça sert d'essayer, quand il n'y a plus d'espoir ?" On veut tous gagner, mais on ne veut pas tous nous battre pour y arriver.

C'est à cette conclusion que je suis arrivée, après maintes et maintes réflexions. Alors, non je ne l'ignore pas ; je ne suis pas lâche. Roméo, lui, l'est. Il est lâche pour choisir la facilité plutôt que de continuer à se battre, lâche pour m'avoir caché tant de choses depuis le début.

Mais je ne peux pas lui en vouloir.

Je sais qu'être contraint d'abandonner son rêve à cause d'une satanée maladie ne doit pas être la chose la plus agréable à traverser. Et aussitôt, je me mets à répéter encore et encore, les excuses que je m'apprête à lui faire parvenir pour m'être emportée plus tôt. C'est comme une impression de déjà-vu ; il me cache quelque chose que je finis par découvrir puis je me mets en colère. Mes paroles tranchantes dévalent mes lèvres comme la lame d'un couteau.

Alors, pour une fois dans ma misérable vie, je parviens à prendre une décision. La décision de sauter dans ma voiture et conduire sans m'arrêter jusqu'à la maison jaune soleil aux volets bleu indigo. Je suis pitoyable de me rendre compte toujours trop tard des choses que je regrette. En fait, je suis surtout pitoyable de ne pas agir dès que je commence à les ressentir. Ce serait presque une chance si Roméo ne me rit pas au nez, quand je sonnerai à sa porte.

Je me gare à cheval sur le trottoir et me précipite jusqu'à la porte. Bien sûr celle-ci est fermée et personne ne daigne me répondre, je soupire. Peut-être est-ce un signe du destin, un signe que je n'aurais jamais dû revenir. Ou que je devrais culpabiliser de ne pas être venue plus tôt. Je secoue la tête.

Depuis quand suis-je devenue superstitieuse ?

La solitude semble me réserver bien plus de surprises qu'il n'y paraît. Je m'apprête à faire demi-tour, quand un aboiement atteint mes oreilles. Le son est lointain et vaporeux, il provient de l'autre côté de la maison. Je trottine jusqu'au petit chemin qui longe la façade, pour atterrir sur une plaine enneigée. Un peu plus loin, sur le lac glacé, jouent Berlioz et Roméo.

Son sourire est toujours aussi large, je le discerne même à travers le brouillard environnant. Mon cœur se sert à sa joie de vivre. À croire que je suis la seule à avoir été impactée par notre dernier échange au parc. Mon pouls s'accélère considérablement, il pulse à l'intérieur de mes veines. Je m'élance dans la neige aussi vite que mes bottes me le permettent pour atteindre le bord du lac.

Roméo ne me remarque pas tout de suite, il s'amuse à glisser sur la glace, suivi de Berlioz qui manque de tomber à la renverse lorsqu'il me voit. Le blond est interpellé par la course du berger australien, quelque peu ralenti à cause du sur-place que le verglas lui impose.

— Je ne m'attendais pas à te voir ici, lance-t-il dans un demi-sourire.

Son souffle est court, mais je doute que ma présence en soit la cause.

Je me demande s'il sourit même lorsqu'il n'en a pas envie, si c'est un simple automatisme que son corps a créé pour affronter la dure réalité des choses.

— Je voulais te parler, je réponds incertaine.

Je me sens bête de ne même pas avoir prévu exactement quoi lui dire.

— Opal...

— Non ! Écoute-moi. (Il ne riposte pas, je déglutis.) Je suis désolée de m'être comportée comme je l'ai fait je... Je suis égoïste. Je suis égoïste de penser uniquement à mon bonheur personnel, mais... Mais tu l'es aussi, je veux dire... Toi aussi tu es égoïste d'avoir pris une décision aussi puérile, tu...

— Opalee.

— Laisse-moi finir ! L'air frais s'infiltre dans mes poumons. Tu ne te rends pas compte à quel point ce que tu fais est égoïste. Tu n'imagines même pas comment les gens tiennent à toi, Roméo. Parce que figure-toi que tout le monde t'aime ici. Marzia t'aime, Berlioz t'aime et moi aussi je t'aime. Même si j'ai été pathétique de ne pas te l'avoir dit l'autre jour devant la cheminée parce que j'avais trop peur de ce que tu pouvais penser de moi et...

— J'ai mal au cœur.

— Il fallait y penser avant, je mets à rire, ironique.

— Non, je veux dire... J'ai mal au cœur.

La vulnérabilité de ses paroles me transperce. Il semble tout à coup chétif, encore plus qu'il ne l'a jamais été. Il est comme un cerf-volant à la merci d'un cyclone. Mon cœur bat fort et je sens que mes paumes s'humidifient. Une boule se forme au fond de ma gorge. Une sensation comparable à la douleur ressentie plus tôt.

Ce n'est pas en train d'arriver. Ça ne peut pas arriver.

C'est bien trop soudain.

Cela n'a aucun sens. Rien de tout cela n'a de sens.

— Comment ça ? j'articule chaque mot les uns après les autres.

Mais je n'ai même pas le temps de prendre en compte sa réponse, qu'il s'effondre comme un lourd amas de poussière, sur la neige.

Tomorrow Never DiesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant