Je marchais à travers les rues sans destination visée. Les klaxons assourdissants, pour certains, des voitures ne l'étaient aucunement pour moi.
Perdue à des moments dans mes pensées, j'observais les gens presser le pas pour retrouver leurs demeures respectives en cette fin de journée.
Mes pas me menèrent à Grand Yoff et je passai devant l'hôpital régional. Je pensai à ces malades dont le lendemain était incertain, à ceux dont les cœurs ne battaient plus d'eux-mêmes, à ceux dont le sourire s'était envolé par la crainte de la mort.
Moi aussi j'avais peur.
J'avais peur de ces ténèbres qui ne cessaient de me tirer au plus profond de leurs entrailles, dans leur royaume de noirceur. Je vivais dans le désarroi depuis bien des temps et le désespoir m'engouffrait mais, hélas, je n'avais pas d'aide. J'avais été à la recherche de la lumière qui m'en sortirait sans aboutissement. Et maintenant me voilà dans une bulle, solitaire mais protectrice, dans laquelle je me nichais pour échapper à tout espoir vain de changement.
Je n'avais pas le choix ; il fallait bien trouver un moyen de m'en préserver.
Désormais assise sur un banc public en face d'un espace enfants, quelques mètres de plus avalés, je regardais la grosse boule dorée s'évanouir au dessus de la cime des arbres. Bientôt, elle laisserait place à un croissant lunaire accompagné d'étoiles pour peupler le ciel. J'observais le décor, mes mains agrippant fermement mes genoux.
Je vis un gamin accroché à la main d'une femme, tête tournée à s'en dévisser le cou, dardant un regard attristé dans son dos à ses amis qui jouaient encore. Mes yeux voyagèrent de la vieille femme, un panier sur la tête, le visage témoignant d'une longue journée de labeurs au jeune homme à la démarche mécanique, un sac pendant sur une épaule.
J'observais toutes ces scènes qui se déroulaient devant moi, curieuse et attentive, quand mes orbes s'arrêtèrent sur une silhouette dont l'image était bien ancrée dans mon cerveau. Ce dernier se stoppa brusquement comme court-circuité alors que mes iris dansaient dans leurs orbites. Je restai figée un instant et finis pas secouer la tête en me levant d'un bond.
C'est impossible, me sondai-je intérieurement.
Je clignai des paupières à plusieurs reprises afin de m'enserrer à la réalité, espérant que ce ne soient que mes neurones qui me jouaient des tours. Mais la silhouette était bel et bien là, aussi grande qu'avant.
Je voudrais m'en aller, courir le plus loin et le plus vite possible. C'était ce que je devais faire en cet instant, j'en étais certaine. Mais mes jambes ne répondaient pas à ma volonté.
Je le fixais, lui. Je revoyais ce sourire en coin qui m'avait tant chamboulé et ces fossettes qui ressortaient, ce regard aussi sombre que froid qui m'avait noyé dans leur profondeur.
De plein fouet, cruellement, les souvenirs de ma première année de lycée me revinrent et défilèrent incessamment. Brûlant ma rétine dans leur acharnement pour me replonger au centre de ce qui me terrifiait tant.
Comme si il avait senti mon regard, il se retourna pour poser le sien sur ma personne, son sourire disparut. Je ne sus combien de temps nous étions restés là, lui, les iris cherchant confusément les miens et moi faisant tout pour ne pas les croiser. Un klaxon retentit et me permit de déglutir enfin.
Je pris immédiatement mes jambes à mon cou et détalai sur la route comme une détraquée.
Il fallait que je m'éloigne de lui et le plus vite serait le mieux. J'entendis sa voix qui me criait au loin de m'arrêter.
- Hey, Léna ! S'il te plaît, arrête-toi !
Je ne l'écoutai, ni ne pris le temps de me retourner. Je hèlai le premier taxi que j'aperçus, le cœur battant la chamade et l'âme en alerte comme jadis en sa présence. Je grimpai dans le véhicule et lançai au chauffeur un :
- HLM néma, s'il vous plaît, vite !
Le chauffeur démarra en trombe, comme sensible au qui-vive qui m'habitait. Et seulement là, je daignai lui jeter un regard à travers la vitre. Il semblait essoufflé par sa course. Ses yeux avaient l'air de me supplier de ne pas m'en aller, de ne pas fuir ainsi mais je fermai les paupières en tentant de reprendre un rythme respiratoire normal.
Je soufflai et m'abandonnai au dossier du siège arrière puis laissai flotter mon esprit dans le fleuve d'un passé dont les affluents ne sont autres que ces sentiments destructeurs qui ne me quitteront jamais.
Tout ceci était tellement inattendu...
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Inattendus
Teen FictionVide. Une fille vide, voilà ce que révèle son miroir lorsqu'elle s'affronte à son reflet. À 22 ans, Léna est différente. Elle est renfermée dans sa bulle depuis cet événement qui la marquera sûrement à vie. Chaque chose, dans sa vie, avait une place...