~1~

57 13 13
                                    

Ce fut une matinée où l'atmosphère glaciale me donnait l'impression de geler. Enfin, il ne faisait pas si froid que ça. La suderone que j’étais devenue depuis quelques années déjà, ne le supporte plus tellement quand bien même j’avais vécu à Dakar, au point E, tout près de la brise maritime.

Il était environ sept heures quarante et j'étais dans un bus, bien en retard à mon gout, en direction du lycée. La tête posée contre la vitre à ma gauche, je contemplais le dehors et imaginais ce à quoi ressemblerait ce paysage s’il y avait de la neige. Le décor de l’hiver avait quelque chose de magique. Je trouvais le paysage époustouflant avec cette neige au-dessus des toits, sa blancheur était sans tache. Je me la représentais comme un ange, un ange venu apporter de la pureté à ce monde odieux et contrecarrer la noirceur qui se répandait dans nos cœurs. Je plaignais qu'il ne neige pas dans la région tropicale. J’aurais aimé, par ces temps-là, sortir dehors. J’adorerais sentir le froid me mordre la peau, voir la buée s’échapper de ma bouche à chaque expiration et matérialiser, enfin, cet ange en un bonhomme grand et souriant avec autant de neige que je pourrais.

J'aimais aussi la mousson avec
ses fortes pluies. J'avais l'impression de revivre quand le tonnerre gronde et que le vent souffle à grande vitesse. Ce climat faisait peur à plus d'un, mais moi, m'apaisait. À chaque fois, j'avais l'impression que mon mal être se libérait de mon cœur et de mon âme, que la nature, dans son acharnement, comprenait et compatissait en répondant de cette façon à ma douleur. Les jours d’orage, je branchais des écouteurs tout en me posant tranquillement derrière ma fenêtre, au chaud, avec une mélodie de piano. C’était comme un spectacle et lorsqu’il touchait à sa fin, une larme solitaire coulait sur ma joue, une seule et unique, ensuite je m’endormais tout bonnement, vidée.

J’avais ce lien avec la nature, que peu de gens arriverait à comprendre. Il me rendait différente, je dirai même bizarre. Et pourtant, sans celui-ci j’aurais moins aimé ma vie que maintenant. J’enviais la plupart du commun des mortels pour tant de choses mais ce lien pour moi était un plus, car quelque part cette différence faisait de moi une personne spéciale et pas seulement à part.

Un klaxon exagéré m'avait ramené à la réalité. Ma tête avait quitté la vitre embuée qui affichait la trace de ma joue, pour se diriger vers le chauffeur. Depuis le temps que je prenais la ligne 4, Mansour, un chauffeur de bus résidant au quartier Goumel, tout comme moi à cette époque, avait fini par me reconnaitre. Il changeait souvent de ligne, mais finissait toujours par revenir dans celle-ci, comme si elle représentait son fief, une ancre à laquelle il s'accrochait.

En avais-je moi, une ancre ?

Encore un klaxon, mais bien plus prolongé que le précédent, avait résonné alors que je m'étais
perdue dans mes réflexions. J'avais hoché la tête dans sa direction à travers son rétroviseur, signe de
remerciement, en quittant gauchement mon siège. Descendre de ce bus fut un vrai parcours du combattant puisqu'à cette heure les transports étaient jonchés de monde. Le corps entier dehors mais les doigts du pied piétinés et endoloris par les pattes d'éléphant de je-ne-savais-qui, la froidure
m'avait frappé de plein fouet, me punissant de ne m'être revêtue que d'un pull fin sur ma longue
robe d'uniforme. J'avais ensuite traversé la route dans une sempiternelle attitude. Tête baissée, le regard caché sous mon voile et une marche rapide pour me fondre dans la masse de lycéens.

Nous ne devions pas être loin de huit heures car l’entrée du lycée n’est jamais aussi bondée qu’à cinq minutes de l’heure fatidique. Les élèves de l’établissement avaient cette fâcheuse habitude d’arriverà la dernière minute. Je n’aimais pas particulièrement – pas du tout même – la foule donc je venais
tôt. Seulement, la veille, j’avais tenu à terminer la saison 3 de Suits quoi qu’il m’en coute et donc me voilà, dans une situation qui me mettait mal à l’aise.

InattendusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant