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Ma routine avait alors changé. Mais cette fois-ci, je l'avais voulu.

Ce rendez-vous faisait ainsi partie de mon emploi du temps.

Nous nous retrouvions sur cette même allée, tous les vendredis, pour acheter une glace et ensuite prendre place sur les deux balançoires qui étaient devenues nôtre. Des fois, il n'y avait pas d'échange, nous restions silencieux après s'être salués pour se dire au revoir des heures plus tard. Les rires des enfants autour de nous, leurs auras lumineuses, la légèreté et l'innocence qui s'émanaient d'eux rendaient la latence apaisante.

Parfois, alors qu'on patientait pour avoir nos sorbets, Jonathan s'éloignait pour s'allumer une cigarette. Je n'aimais toujours pas ça et il l'avait sûrement compris. Cependant, avec les semaines qui défilaient, je commençais à trouver cela épatant de le regarder tirer longuement sur sa tige puis laisser échapper la fumée par la bouche ou le nez. C'était comme un art. Un art fascinant oui, mais dangereux.

Je me retenais bien d'en faire la remarque.

Ma façon de le voir avait quelque peu changé. Son aura dégageait toujours cette force captivante mais elle était devenue rassurante et chaleureuse. Je ne voyais plus son visage fermé comme une hostilité mais plutôt comme l'expression d'un sérieux dans ce qu'il faisait.

Et parfois, il arborait un sourire mutin. Je ne percutais pas, au début. Car quand il faisait ça, c'était parce qu'il avait une idée pas nette dérrière la tête. Comme le jour où il avait sciemment crocheté le pied du surveillant qui était désagréable avec les enfants. Ce dernier s'était étalé sur le sol dans un cri pas très viril en lâchant un juron.

Le voir au sol avec autant de gens dans les alentours m'avait rappelé ce jour où j'étais tombée devant le grand portail, au lycée. Ce jour-là même où j'avais, pour la première fois, rencontré les yeux sombres de Jonathan. Cette époque me paraissait soudainement lointaine. Et si on m'avait dit que je serais là un jour, à retrouver ce troublant jeune homme toutes les semaines, j'aurais bien ricané.

Mais le surveillant lui, avait mis bien plus de temps que moi pour se relever, sa tête chauve luisant de sueur. Bien qu'en colère et surtout honteux, il n'avait rien pu dire quand Jonathan s'était excusé avec une mine polie.

Et dès qu'il s'était retourné en marmonnant dans sa barbe, que les activités reprenaient autour de nous, Jonathan avait eu un sourire en coin, celui-là même qu'il avait arboré avant de tendre son pied.

Eberluée, je lui avais dit :

- Oh mon dieu, tu l'as fait exprès.

- Pas du tout... avait-il répondu en me devançant vers la balançoire toujours avec ce rictus, pas le moins du monde convaincant.

Puis, un jour, il me ressortit le même sourire, mais avec un soupçon de défi.

Il m'avait engagé dans une bataille de «qui mangerait plus de glace» à l'image même de «qui irait plus haut» que nous faisions, jadis, Abdel et moi. Bêtement, j'avais accepté. Il était alors allé acheter pas moins de huit glaces pour ensuite se poster devant moi.

J'arborais aussi un sourire, me disant que les glaces étaient vraiment délicieuses et que ce ne serait que bénédiction de pouvoir en manger autant d'un coup.

Grave erreur.

Après la troisième, le froid avait commencé à me monter à la tête, me faisant grimacer. Je ne pus garder une teinte d'honneur et gémis en me tenant le crâne.

Jonathan qui jusqu'à maintenant gardait son sourire s'alarma, s'approchant en tenant mes poignets alors que j'agonisais. Bien que son contact chaud sur ma peau m'électrisa, je ne m'y appesantis pas.

InattendusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant