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Je me réveillai encore une fois. Le temps était sûrement passé aussi vite que la dernière fois. Mais à contrario de la terreur habituelle du réveil, celui-ci fut assez calme. Pas de cauchemars. Pas de troubles. Pas de frayeur. Juste rien. Vraiment rien. Je tâtai la place à côté de moi, elle était encore chaude. Quelqu’un était avec moi. Voilà donc pourquoi j’avais pu dormir aussi paisiblement. Mon sommeil avait été salvateur. Il me semblait que ça faisait une éternité que je ne m'étais pas reposée ainsi.

Je tentai un mouvement pour sortir du lit mais mes muscles semblaient endoloris. Ils me lancèrent affreusement comme pour me punir de m'être assoupie dans cette position inconfortable dans les
bras de Maman.

Maman.

Où était-elle ? Était-ce elle qui m'avait portée jusqu'au lit ? Ou bien Abdel, mon aîné ?

Malgré mon corps qui me criait de ne pas bouger, je forçai pour quitter ma couette en jetant un
regard à Tiempo. Il était dix-neuf heures passées, le dimanche. Il était tard. Mais au moins, je n'avais pas comaté pendant plus d’une journée.

En traînant les pieds, je traversai ma chambre et poussai la porte pour longer le couloir qui menait au salon puis à la cuisine. Ces deux pièces de la maison étaient adjacentes. Cela n'avait pas empêché ma mère d'accepter quand Grand-père nous proposa de prendre sa maison alors que l'on venait de quitter la capitale. Elle détestait que l'odeur de la cuisine embaume l'espace de vie. Alors elle s'était trouvée dans l'obligation d'acheter une hotte. Je me souvenais encore du jour où elle m'avait tirée avec elle, chez une boutique d'électroménager en ville sous les recommandations d’une
connaissance. Elle avait longtemps hésité sachant qu'elle y mettrait l'argent de ses économies mais elle n'avait eu qu'un haussement d'épaules désintéressé comme avis de ma part. Elle n'avait pas résisté à l'argumentaire du vendeur. Il utilisait les bonnes expressions : « produit premium » ; « offre à
durée limitée », etc. En l’observant, j’avais su qu’il avait dû faire des études de commerce, de marketing ou maté un sacré nombre de vidéos sur le sujet. Il était vraiment doué. Je n’étais pas intervenue car en réalité le produit valait son prix. Pour preuve, l'appareil fut d'une grande utilité.

Mes pas se dirigèrent machinalement vers la pièce favorite de ma mère : la cuisine. J'étais certaine de l'y trouver. Et ça avait été le cas. Tablier enfilé, en tenue confortable, elle touillait je-ne-savais-
quoi sur le feu. Mon arrivée attira son attention ; elle se retourna, surprise mais aussi inquiète. Elle éteignit la plaque et vint vers moi. Après avoir vérifié mes températures et posé moultes questions, elle s'autorisa un soupir en s'accoudant à l'îlot central. Je m’installai silencieusement sur l’une des
chaises hautes. Je ne lui en voulais jamais lorsqu'elle se montrait si anxieuse. Au contraire je me sentais coupable. Coupable de lui infliger tout ceci. J'avais vingt-et-un ans, bientôt vingt-deux, et je me comportais toujours ainsi. Comme une adolescente. Pire, comme une fillette.

Je n’allais pas bien, c’est tout ce que je peux dire.

En regardant Euphoria, j’avais trouvé que je n’avais rien des tourments de ces ados. Ma tête n’en était quand même pas aussi saine que celle de Lexi. Je ressemblais plus à Rue. Sa mère ressemblait aussi à la mienne. Toutes deux étaient douces et aimantes, parfois étouffantes mais cela n’était dû qu’à leur inquiétude pour leurs filles respectives.

Je ne me droguais pas, ne buvais jamais. Mais moi non plus, je n’allais pas bien. Pour des raisons différentes de celles de Rue, certes, mais je la comprenais. Je la comprenais lorsqu’elle décrivait ses états d’âmes. Lorsqu’elle exprimait la manière dont la drogue la faisait se sentir ; l’extase qu’il lui procure, le bien-être que l’on ressent durant ce moment de transe. C’était la seule raison pour laquelle j’avais maté la série. C’était comme si dans ce monde, enfin, j’avais trouvé une personne qui se sentait comme moi. Surtout, je voulais en voir le dénouement. J’espérais une belle fin pour elle, j’avais besoin qu’elle soit belle pour en espérer une pour moi-même. Cet espoir était une chose que je partageais avec les autres. Avoir de l’espoir, encore et toujours, même quand on est mal. Cela me rendait un tantinet “normale”. Je n'étais pas particulièrement d'accord avec cette notion de normalité
que la société imposait.

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