Dans ma chair

5.Sohan "mortellement superbe"

Je passe un dernier coup d'éponge sur le micro-comptoir qui nous sert de bar sous le regard dépité de Jay, lui-même affalé dans le canapé, une canette d'Ice-Tea à la main.

- Je ne t'ai jamais vu faire autant le ménage en deux ans de cohabitation, raille-t-il en s'envoyant une lampée.

- Peut-être parce que tu es un taré maniaque et que je n'en ai jamais l'occasion.

- Je n'arrive pas à capter un truc, c'est un pote à toi qui vient ou ton crush secret ?

Je lui lance un regard noir qui le fait pouffer tout bas. Évidemment qu'il voit clair dans mon jeu, à rentrer en plein milieu de la nuit alors que je suis une marmotte, et à être rivé sur mon téléphone dans l'espoir de recevoir un message de Damian.

- Le souci avec toi Sohan, c'est que tu es trop romantique, poursuit-il sur le même ton moqueur. Un garçon plutôt mignon t'adresse la parole et tu t'imagines déjà marié avec des rejetons.

- En quoi c'est mal de chercher une relation sérieuse ?

- Ah ! Donc tu admets que c'est ce que tu désires avec ton fameux Damian ? s'écrie-t-il victorieux en renversant un peu de sa boisson par terre.

Qu'il s'empresse de nettoyer, l'idée de tâcher quoi que ce soit dans cet appartement lui donne aussitôt des sueurs froides.

- Tu sais ce qui me questionne le plus à propos de ce mec, c'est que tu n'en parles quasiment pas, minaude-t-il en se levant pour venir fureter de mon côté. D'habitude, quand un gars te plait, tu me sors des alexandrins sur lui toute la journée, mais là, pas un mot.

- Peut-être parce qu'il ne me plait pas, avancé-je en haussant les épaules.

- Tu t'es parfumé, les seules fois où tu utilises le flacon que je t'ai acheté pour ton anniversaire, c'est quand tu vas chez ta mère. C'est bien pour ça que tu as le même depuis qu'on a fini le lycée.

J'éclate de rire sans pouvoir le contrôler, cet idiot me connait trop bien, à mon grand désespoir. Pourtant, j'ai fait attention de ne pas trop en faire, un t-shirt Batman et un short noir uni, pas spécialement bien coiffé. J'ai vraiment fait le minimum syndical afin qu'on ne pense pas que je cherche à plaire. Mais si je dois être franc, j'ai quand même envie d'éveiller son intérêt, même si je ne suis pas encore sûr de ses préférences sexuelles.

Hommes ? Femmes ? Les deux ? Aucun ? Dur à dire, il est trop insaisissable pour que je puisse me prononcer avec certitude. Même si parfois j'ai l'impression de sentir son regard sur moi, mais rien ne me dit que ce n'est pas mon imagination débordante qui me fait espérer quelque chose qui n'existe absolument pas.

- Et d'ailleurs, il vient quand ton petit co...

La sonnette qui retentit avec force le coupe et me fige dans la seconde. Il est là, mince, je ne pensais pas qu'il viendrait dans l'après-midi. Je croyais le voir débarquer dans la soirée, j'aurais proposé qu'on se regarde un film et pourquoi pas qu'on dine, mais maintenant je suis pris au dépourvu.

- Tu ne vas pas ouvrir ? me demande Jay, clairement amusé par mon état de stress.

- Si si... Toi, emballe tes affaires et va bosser dehors !

- Tu plaisantes ? Je n'arrive pas à travailler avec du monde autour de moi.

- Fais un effort ! m'exclamé-je en me précipitant jusqu'à l'interphone pour lui ouvrir la porte en bas. Je ne te demande jamais rien, juste pour aujourd'hui.

- Et tu oses dire que tu n'as aucune vue sur ce type, râle-t-il en finissant sa canette d'une traite avant de ranger son ordinateur et ses plans.

Je le regarde faire, ma nervosité à son paroxysme, lorsque j'entends la porte d'entrée crisser et s'entrouvrir lentement. Oh Dieu, il est vraiment là. Sa stature plutôt solide s'impose dans l'encadrement, nos regards se croisent et s'accrochent, ma respiration se coupe.