Dans ma chair

31.Damian "quitte à en crever"

Je me tiens en retrait dans un coin de la Cave, mal à l'aise de me trouver au milieu de cette horde qui beugle d'impatience, frémissante d'anticipation à l'annonce que ne va pas tarder à faire Tommy. Je ne devrais pas être là, si Lukas ne m'avait pas appelé pour me demander de venir, jamais je n'aurais participé à ce simulacre.

Néanmoins, je commence à entrapercevoir, dans l'horreur qui se joue devant moi, la voie de mon salut. Je ne peux plus attendre de trouver un logement à Olivia, ni de quitter moi-même le quartier, il est temps que je mette un terme à cette vie de merde pour de bon.

Pour retrouver mon Sohan, la tête haute, avec l'espoir insensé qu'il accepte de me reprendre.

- Je vous remercie à tous d'être là, ce soir, pour cette occasion si spéciale.

La voix trainante à peine murmurée de Tommy fait taire tout le monde dans la seconde, installant un silence que je trouve atrocement lugubre. Je ne le vois pas, plus petit que la majorité des hommes présents, je ressens cependant sa présence comme si elle aspirait tout l'air de la pièce, au point de me faire suffoquer et haleter.

Je sais quel jour nous sommes et surtout quel sera celui de demain. Je sais ce qu'il prépare, Lukas m'en a déjà brièvement parlé. Et je sais que c'est à moi de l'arrêter.

- Nous avons dû ronger notre frein des mois durant, mais il est temps de frapper un grand coup. Cette nuit.

- Ouais ! beugle ce crétin de Fred en se tapant le torse.

Foutu gorille décérébré.

- La police est contre nous, si corrompue par les lobbies qu'elle préfère protéger des étrangers, des terroristes, des meurtriers ! Très bien ! déclare-t-il en haussant le ton, exacerbant la folie de ses sbires. Le gouvernement nous prend à partie, nous accusant d'être la gangrène de l'Amérique. Très bien ! Le monde entier peut se dresser contre nous, peu m'importe, parce que je sais que ce que nous faisons est juste ! Je sais, que les actes que nous accomplissons, visent à restaurer la grandeur de ce pays que nous chérissons tous !

La tension monte, son discours n'a qu'un seul but, faire exploser l'adrénaline qui pulse dans les veines de ces mecs, afin de les pousser à commettre des folies.

- Ce soir, mes frères, nous allons enfin nous débarrasser de l'un de ces vers, qui viennent pourrir la pomme de l'arbre planté par nos pères, par nos grands-pères, par nos ancêtres ! Il est temps que ce pays revienne entre nos mains, à nous, leurs fils ! Les fils de l'Amérique !

La petite foule se déchaine, les cris extatiques percent les murs, l'excitation se mêle à la fureur, le cocktail parfait pour tout détruire.

Alors que Tommy poursuit sa tirade, j'observe du coin de l'œil Lukas et Mick, plus calmes que les autres, plus nerveux aussi. Les deux affichent une pâleur qui m'alarme, exacerbée par leur crâne rasé et leurs fringues noires. Seigneurs, ils paraissent si jeunes, ils sont si jeunes. Leur place n'est pas ici à écouter les élucubrations d'un homme dangereux, mais dans un bar sympa à rigoler entre potes en dédaignant leurs études ou boulots.

Je surprends une œillade affolée de Lukas à mon égard, avant de détourner le regard aussitôt, comme s'il était embarrassé de m'avoir demandé de venir. Qu'aurais-je pu faire d'autre ? Je sais au fond de moi que ces deux gosses ne sont pas aussi dingues que le reste du Clan, qu'ils se sont perdus ici comme je l'ai fait par le passé, mais qu'il est encore possible de les aider à s'en sortir.

Ce soir, je briserai définitivement le lien qui me lie à ce Clan. Ce soir, je sauverai Mick et Lukas de cette vie de merde.

Quitte à en crever.