Dans ma chair

29.Sohan/Damian "sanglots"

SOHAN

- Tu comptes quitter ce canapé un jour ou bien fusionner avec ?

Je n'accorde pas le moindre regard à Jay et préfère rester focalisé sur les scènes sans vie qui défilent à la télé. Émissions, films, séries, tout y passe et me parait sans grand intérêt, ma seule motivation étant d'occuper mon cerveau à faire autre chose qu'à penser sans cesse à Damian. A son absence. A la douleur qui ne me quitte plus depuis son départ précipité.

- Il te manque le pot de glace et le plaid sur les épaules pour correspondre au parfait cliché de la rupture sentimentale, ricane-t-il en s'affalant à côté de moi.

Je pourrais me révolter contre son manque d'empathie, à dire vrai, il supporte mon état de larve ambulante depuis des semaines. Même Kat et Frank ne savent plus comment m'aborder, d'autant plus que je suis difficile à consoler, les larmes refusant de couler.

Pourtant, je crève de l'intérieur. Putain de merde, j'ai l'impression qu'un trou noir s'est ouvert dans le creux de mon ventre et aspire tous mes organes vitaux, me transformant peu à peu en cadavre, en mort-vivant. J'aimerais crier, pleurer ou même parler pour me soulager, mais rien ne sort, ma gorge est comme nouée et mon esprit anesthésié.

Damian. Damian. Damian. Damian. Damian.

- Tu comptes m'ignorer encore longtemps ?

- Jusqu'à ce que tu arrêtes de parler.

Le simple fait d'ouvrir la bouche pour m'exprimer ou même manger me fait mal, je n'ai envie de rien, seul le besoin de me précipiter dans les bras de Damian me fait encore tenir debout. Ses bras, son visage, sa voix, sa bouche, ses mains, son odeur, tout ce qu'il est.

- Vieux, tu ne peux pas continuer comme ça, poursuit Jay plus sérieusement. Tu ne fais que bosser, pioncer et comater devant de la télé poubelle. Soraya s'inquiète de ne plus te voir et je n'ai rien osé lui dire.

- De toute façon, elle s'y attendait.

Que je finisse seul et le cœur brisé, ça ne la surprendra guère.

- Franchement Sohan, je ne te comprends vraiment pas, lâche-t-il en soufflant de dépit. Je te dis depuis le premier jour que ce gars n'est pas net, pourtant, tu t'accroches et en tombes même amoureux. Et maintenant que tu apprends enfin ce qu'il te cachait, tu l'envoies bouler dans la seconde.

- Que voulais-tu que je fasse ? Il a sur sa peau une putain de cr...

- Je sais ! Je sais ! m'interrompt-il en levant les mains pour me calmer. Mais c'est juste un tatouage, non ? S'il croyait vraiment en ces conneries, il ne t'aimerait pas comme un fou furieux.

Son attitude me déconcerte autant qu'elle m'agace, lui qui a tout fait pour que je m'éloigne de Damian, prend aujourd'hui sa défense. Et moi ? Et moi ?! Comment suis-je censé réagir après tout ça ?

- Tu te souviens l'année dernière, le gars de dix-huit piges qui a ouvert le feu dans un supermarché ?

- Sohan...

- Un suprémaciste blanc qui a tué une dizaine d'afro-américains, Jay. Je ne te parle pas d'un petit groupe de délinquants, je te parle de potentiels meurtriers.

Et le simple fait d'imaginer Damian dans ce genre de groupuscule me donne envie de vomir, parce que pour l'intégrer, il a forcément dû partager leurs idées à un moment donné de sa vie. Croire que l'humanité est divisée en plusieurs races et que la blanche les prédomine, ressentir cette haine viscérale et totalement injustifiée contre toute une partie de la population, quitte à devenir violent.