28.Damian "il l'a vu"

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J'ai froid. C'est la première pensées cohérente qui émerge de mon esprit encore brouillé d'un sommeil profond. Or, lorsque je dors avec Sohan, je n'ai absolument jamais froid, bien au chaud sous sa couette épaisse et lové contre son corps bouillant.

La seconde pensée qui éclot dans mon état comateux est plus déroutant, parce que je la sens glisser sournoisement sur ma peau, la lumière, celle d'un soleil timide de décembre. Incapable d'ouvrir les yeux, je tâtonne au hasard sur le matelas, confirmant ainsi l'absence de mon homme. Encore hagard, je m'étire longuement en baillant et me redresse en osant enfin affronter la luminosité de ce matin grisâtre, lorsque mon regard tombe sur mon corps.

Sur mes cuisses. Nues. La couverture baissée dévoilant ce que je me suis borné à cacher des mois, non, des années durant.

Et là, tout se met en place, les souvenirs de la veille et la douloureuse absence de Sohan. Je me suis déjà pris des coups, je connais la douleur physique, c'est ce que je croyais en tout cas. Tout ce que j'ai pu me prendre dans la tronche lors de bagarres futiles quand je n'étais qu'adolescent n'a absolument rien à voir avec cette sensation d'effondrement en moi, comme si mon cœur venait littéralement de se briser et que ses copeaux éclatés pleuvaient dans mon ventre, le déchirant jusqu'à le laisser en sang.

Bras et jambes comme anesthésiés, je me relève en douceur et prends le temps d'enfiler mes vêtements avant de me rendre dans la pièce à vivre, la tête vide et la bouche pâteuse. Le calme qui règne dans l'appartement me parait alors assourdissant, je suspecte même Sohan d'avoir tout simplement foutu le camp, comptant sur le peu de conscience qu'il me reste pour m'en aller discrètement.

De chez lui et de sa vie.

Pourtant, je ne bouge pas. Debout au milieu du salon, stoïque, je ne réalise pas encore pleinement la situation dans laquelle je me trouve ni les conséquences dramatiques qui en découlent. Il l'a vu, merde, il l'a vraiment vu. Je devrais m'agiter, chercher à l'appeler, le supplier de m'écouter, pourtant je ne fais rien et reste planté là, les bras ballants et l'âme en lambeaux.

Et ça là que je les perçois, les bruits dans les WC, m'incitant aussitôt à accourir jusqu'aux toilettes pour y découvrir Sohan à genoux devant la cuvette, crachant péniblement de la bile. Une faible odeur de vomi plane dans la petite pièce immaculée, me nouant la gorge si violemment que je doute de pouvoir un jour m'exprimer à nouveau.

Découvrir ce tatouage l'a carrément rendu malade ? Ou est-ce le fait d'avoir couché avec moi sans savoir ce que j'étais réellement ?

Je sais qu'il a senti ma présence, je le vois à ses épaules qui se crispent et à ses poings qui se resserrent. Malgré tout, il m'ignore et se relève lentement avant de tirer la chasse d'eau et de se rincer la bouche et le visage. Les mains rivés au bord du lavabo, je l'observe en train de se regarder dans le miroir, de l'eau ruisselant sur sa peau, quelques mèches de ses cheveux trempées ondulant devant ses yeux éteints.

Son teint hâlé est olivâtre, blême, livide et ses prunelles chocolat aussi vides que ma poitrine, mon cœur ne s'y trouvant plus. Et soudain, son regard croise le mien via le reflet, s'ancrant dans mon être tout entier qui s'éveille légèrement à ce simple contact visuel.

- Ça ne va pas ? glapis-je bêtement, la voix cassée.

- Je suis malade, je me sentais déjà mal hier soir, mais j'ai mis ça sur le compte de...

Il ne finit par sa phrase, pas la peine, j'en suis l'unique responsable. Me voir avec Nathan a dû lui faire tellement de mal, même s'il sait que je ne le tromperai jamais. Ne pas connaitre mon passé et mon présent le meurtrit chaque jour un peu plus.

Dans ma chairOù les histoires vivent. Découvrez maintenant