Chapitre 63

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J'avance d'un pas rapide en suivant le sentier créé par des années de va et vient. Pour le moment, le chemin est bien visible, même s'il commence à s'effacer. Je sais d'expérience que plus on s'éloigne du village, plus celui-ci devient discret jusqu'à disparaître aux yeux de ceux qui ignorent qu'il existe. À plusieurs reprise, le sentier se sépare en deux ou trois embranchements, mais grâce à Lam, je sais qu'il me suffit de me diriger vers l'ouest pour rattraper les chasseurs.

Lorsque le soleil se couche, je me retrouve face à un dilemme : continuer à avancer dans le noir afin de combler autant que possible mon retard ou trouver un refuge pour la nuit tant que la luminosité me le permet. Je lève la tête pour observer le ciel à travers la frondaison des arbres, aucun nuage à l'horizon, il ne pleuvra probablement pas cette nuit. Ma décision est aussitôt prise, je ramasse un bâton que j'enroule dans du tissu pour le transformer en torche. C'est la seule solution pour sauver Alex, je ne peux pas me permettre de m'arrêter.

Marcher dans la nuit sombre, la lune masquée par l'épais feuillage au-dessus de moi, avec pour seule source de lumière une torche vacillante est loin d'être rassurant. Je me souviens encore de ma rencontre avec les loups lorsque je fuyais la ville et je me fige au moindre craquement de branche dans l'attente des hurlements glaçants. Par bonheur, aucun animal ne s'approche de moi et, lorsque ma torche s'éteint, je me couche à même le sol pour me reposer quelques heures.

Je me relève avec difficulté à l'aube, ma nuit fut loin d'être reposante. J'ai oscillé entre les longs moments d'éveil et les courtes phases de sommeil empli de cauchemars dans lesquels je retrouve le corps d'Alex, sans vie, sur la plaine entourant la Ville.

Les muscles raides, je me remets en marche. Bien que le sentier commence à devenir difficilement discernable, je n'ai aucune peine à suivre les chasseurs à la trace tant ils sont nombreux. Le chemin est recouvert d'empreintes de bottes et de végétations écrasées, ils ne cherchent pas à être discret, juste à se déplacer le plus rapidement possible.

En début de soirée, j'atteins enfin la rivière et gémis intérieurement. J'avais oublié à qu'elle point elle était large. À la simple idée de devoir la traverser je sens mon corps se mettre à trembler de manière incontrôlable. Pour le moment, je me contente de suivre le cours d'eau en direction du sud à la recherche de l'immense rocher décrit par Lam. Heureusement, la lune est pleine et les arbres ne cachent pas le ciel depuis la rive, je n'ai donc pas besoin de torche pour m'éclairer. Je suis tout de même forcée de m'arrêter avant d'atteindre le rocher. Je suis tellement épuisée que je n'arrête pas de glisser sur les galets, à ce rythme là, je me foulerai une cheville avant le lever du soleil.

J'atteins le rocher en début de matinée et observe la rivière, le cœur battant à un rythme frénétique. Elle est encore plus large et le courant plus fort qu'en amont et je sens un frisson désagréable me parcourir la colonne vertébrale. À plusieurs reprises, j'avance en direction de l'eau avant de reculer immédiatement, la tête pleine de visions de noyade.

— Ressaisis-toi, Ellie, murmuré-je. Ce n'est pas le moment, tu es en train de perdre du temps.

Malgré tout, je reste tétanisée au bord de la rivière. Je me force à penser à Alex et, peu à peu, mon imagination remplace ma noyade par son corps sans vie. Après de nombreuses minutes, je décide de fixer un arbre de l'autre côté de la rivière et commence à avancer. Lorsque mon pied entre dans l'eau, je ne peux m'empêcher de hurler de frayeur, mais, les mains tellement serrées que je peux sentir mes ongles s'enfoncer douloureusement dans mes paumes, je ne quitte pas l'arbre des yeux. Je me force à avancer, un pas après l'autre. Après une éternité, j'atteins enfin la rive opposée et me laisse tomber au sol, le corps secoué de tremblements.

Je l'ai fait. Je ne sais pas vraiment comment, mais j'ai réussi à traverser la rivière. Je me laisse encore quelques instants pour me ressaisir, puis reprends mon chemin.

Sans émotions Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant