Chapitre 12

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Stupide, j'ai été stupide. Totalement stupide.

Je cours en boîtant sous la fine pluie à la recherche d'un abri de fortune. Heureusement, l'épais feuillage des arbres retient une grande partie des précipitations. J'aurais dû me douter qu'il allait pleuvoir lorsque j'ai aperçu les nuages autour de la Ville, mais j'ai été trop idiote pour faire le rapprochement. Je sens ma gorge me gratter de l'intérieur, le premier signe de la maladie. Il me faut trouver un moyen de m'abriter de l'averse rapidement avant que mon état ne s'aggrave, ou pire, ne devienne irréversible.

Alors que je commence à perdre espoir et que la panique menace de m'empêcher d'agir de façon rationnelle, j'aperçois un gros rocher qui sort de la terre selon un angle qui offre un petit espace entre le sol et lui dans lequel je peux tenir assise à l'abri de la pluie. Je me glisse dedans en toussant et ramène mes jambes contre moi pour éviter qu'elles ne finissent trempées. Le haut de mon corps est courbé en avant de façon inconfortable à cause de l'inclinaison de la roche, mais au moins, je suis au sec ici.

Inquiète, je me remémore les étapes de la maladie de la pluie. Tout d'abord, la gorge devient irritée, puis la personne tousse. Après cela, la respiration devient sifflante et difficile tandis que les quintes deviennent plus fortes et s'accompagnent de sang, c'est la dernière étape réversible. À la suite de quoi, les poumons commencent à suinter un liquide qui asphyxie la victime de l'intérieur. Je tousse dans ma manche et observe celle-ci, pas de sang. J'appuie la tête contre la paroi rocailleuse, soulagée, j'ai réussi à m'abriter avant que la situation ne devienne critique. La vitesse de progression des symptômes dépend de la force des précipitations, heureusement pour moi, elles sont faibles en ce moment.

À peine ai-je pensé cela que la pluie s'abat en trombe, un véritable torrent se déverse désormais du ciel. Je gémis et remonte le col de mon pull afin de recouvrir ma bouche et mon nez dans l'espoir que cela permette de filtrer un peu les particules d'eau qui arrivent à s'infiltrer jusqu'à moi.

Je reste de longues heures dans cette position à attendre que le ciel s'éclaircisse. Pendant tout ce temps, je tousse et tremble de froid. Mes deux courses effrénées de la journée m'ont donné soif, une sensation qui est exacerbée par l'irritation de ma gorge. L'eau qui se déverse sans interruption du ciel semble me narguer et se moquer de mon inconfort. Je commence à regretter l'absence de mon bracelet, sans lui je n'arrive pas à évaluer avec exactitude le temps qui passe.

Après une attente interminable, la pluie cesse enfin et je quitte mon rocher, le corps raide et douloureux d'être resté courbée et immobile aussi longtemps. Ignorant la douleur qui me transperce la jambe à chaque pas, je me remets en marche, attentive à ne rien toucher qui ait été atteint par l'averse. Les gouttes peuvent encore déclencher la maladie jusqu'à quatre heures après que les nuages aient fini de les relâcher. Encore une fois, je regrette de ne plus pouvoir me fier à mon petit écran pour savoir quand je pourrai étancher sans danger la soif qui brûle mon œsophage.

J'aurais vraiment dû mieux me préparer, pensé-je avec amertume.

J'aurais dû prendre du matériel avec moi avant de m'enfuir, mais quoi ? Je ne possède, possédais, rien d'utile et voler quoi que ce soit au musée m'était impossible en raison des gardes qui apparaissaient dès que je m'en approchais. De toute façon, je n'aurais rien réussi à mettre dans la trappe, j'ai déjà eu de la peine à y entrer les mains vides.

Je continue à déambuler dans la forêt, jusqu'à ce que la nuit tombe et que je ne puisse plus distinguer ce qui m'entoure.

Note à moi-même : trouver un endroit où dormir avant que le soleil ne se couche.

Épuisée, frigorifiée, assoiffée et le corps douloureux de la tête aux pieds, je m'allonge sur le sol encore humide et recouvert de feuilles. Les bruits de la forêt, qui m'ont tant charmée ce matin, me semblent désormais inquiétants et j'imagine des bêtes sanguinaires tapies non loin de moi. Je ferme les yeux malgré ma peur, mais pour la première fois de ma vie, le sommeil ne m'accueille pas dès que mes paupières atteignent mes joues. Je ne cesse de me tourner et retourner pendant toute la nuit, dérangée par mes quintes de toux. Pourquoi est-ce si compliqué de s'endormir ? C'est pourtant quelque chose que les humains font depuis toujours, pourquoi n'en suis-je pas capable ?

Le soleil se lève sans que je puisse trouver le sommeil. Mes muscles malmenés par la journée d'hier me le font payer à chaque mouvement, mais la partie de mon corps qui me fait vivre un vrai supplice est ma cheville droite. Désormais, le simple fait de poser mon talon sur le sol déclenche une douleur insupportable qui remonte jusqu'à ma cuisse. Je me force à marcher, ignorant les décharges qui traversent ma jambe à chaque pas. Heureusement, ma toux a disparu, ce qui rend ma situation plus supportable. Cependant, ma soif ne s'est pas calmé, au contraire, et je reste constamment à l'affût de n'importe quel point d'eau qui me permettrait de me désaltérer.

C'est seulement maintenant que je me rends compte de la stupidité de mon plan, quelles sont mes chances de tomber sur une tribu sans savoir où leur village se trouve ? Pourquoi m'accepteraient-ils parmi eux alors qu'ils haïssent la Ville ? Cependant, il est trop tard pour faire marche arrière, si je retourne dans la Ville, je serais exécutée.

Stupide, j'ai été stupide. Totalement stupide.

C'est incroyable le nombre de fois où je me suis sentie idiote depuis que mes émotions ont refait surface. À croire qu'elles ont court-circuités mes neurones.

J'avance en prenant un arbre comme repère, puis une fois celui-ci atteint, j'en choisis un autre qui se trouve dans la même direction. Le soleil et l'activation de mes muscles me permettent enfin de me réchauffer, mais un nouveau malheur vient vite remplacer le froid : la faim. Mon estomac se tort douloureusement tandis que des gargouillis sonores s'échappent de mon ventre. Je commence à chercher autour de moi une source de nourriture sans vraiment savoir ce qui est comestible ou non.

Il y a bien des petits rongeurs à la queue touffue dans les arbres, malheureusement je ne sais pas comment les capturer et encore moins comment les cuire. Je regarde avec intérêt les feuilles vertes qui pendent aux branches, mais je suis à peu près certaine que les humains ne sont pas capables de les digérer. Peut-être que j'essaierais de les goûter si je deviens désespérée, ce qui n'est pas encore le cas.

Je marche lentement à cause de la fatigue et de la douleur, continuant d'observer la forêt, lorsque j'aperçois un buisson contenant des petits objets rouges. Je les observe plus détails, ils sont petits, triangulaires et composés d'une multitude de minuscules sphères. Je suis à peu près certaines que ce sont des fruits, mais comment savoir s'ils sont comestibles ? Une idée me traverse l'esprit.

Puisque j'ai grandement besoin de repos, je m'assieds à côté de l'arbuste et ramasse une des baies. J'appuis dessus pour faire sortir le jus, qui dégage une odeur alléchante, avant de tartiner le liquide sur un bout de ma lèvre inférieure, puis j'attends. Aucune réaction, pas de démangeaison et pas de gonflement. Je cueille un autre fruit que je mâche pendant un long moment, comparé aux blocs de nutriments, son goût explose dans ma bouche et me donne envie d'en manger d'autres, mais je me retiens. Je continue à mastiquer, cependant je ne ressens aucun symptôme indiquant que ma nourriture est nocive, je l'avale donc et je patiente de nouveau. Pas de nausées, pas de vomissement, rien qui ne semble indiquer que mon estomac rejette sa présence.

Je me mets à avaler toutes les baies qui me tombent sous la main jusqu'à ce que je sois rassasiée, puis une fois mon ventre remplit, je me force à me remettre en route. Un arbre, puis un autre, et encore un autre. Les fruits ont également étanché ma soif et je me sens ragaillardie, si ma cheville ne me faisait pas souffrir, j'aurais trouvé ce moment agréable. Je lève les yeux et contemple le ciel, le soleil est de nouveau masqué par d'épais nuages et l'obscurité commence peu à peu à m'entourer, il me faut trouver un abri avant que la nuit ne tombe.

Au bout de quelques minutes de recherche, je tombe sur un tronc d'arbre creux qui est couché au sol. J'observe le trou béant à travers lequel une forte odeur nauséabonde en sort, réticente à l'idée de passer la nuit dedans. Cependant, je n'ai pas vraiment d'autres choix et, au moins, l'intérieur a l'air sec et inhabité par des animaux. C'est avec un soupir résigné que je m'allonge dedans, les pieds en avant, et très peu de temps après, une forte pluie s'abat sur la forêt.

Cette fois-ci, la fatigue me terrasse malgré l'inconfort de mon abri et le froid mordant de l'air. Malheureusement, je n'arrive pas à maintenir longtemps mon sommeil et je n'arrête pas d'osciller entre de courtes phases d'endormissement, suivies par de long moment d'éveil. Encore, et encore, et encore. C'est durant un de mes instants d'éveil que j'entends un long hurlement aigu qui n'a rien d'humain.

Sans émotions Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant