Chapitre 29

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Lorsque le moment de me rendre sur la place centrale pour faire la lecture aux Sauvages arrive, c'est avec appréhension que je quitte la maison de la guérisseuse. Rien qu'à l'idée d'être à nouveau entourée par tant de gens hostiles, je sens la panique enfler en moi. Alors penser que je vais devoir prendre la parole devant eux... J'espère réussir à parler, et surtout, ne pas m'évanouir.

— Ça va aller, me rassure Ash. Tu connais l'histoire du prince et de la dulcinée presque par cœur, et en plus, t'as passé toute l'après-midi à t'entraîner.

Seul un grognement sort de ma gorge en réponse à son affirmation. J'ai l'impression que si je prends le risque d'ouvrir la bouche, la sensation de nausée qui m'assaille depuis la décision de Tor menace de se transformer en bien pire. Dans mon champ de vision périphérique, j'aperçois Ash donner un coup de coude dans les côtes d'Alex.

— Tout va bien se passer, ajoute le chasseur. T'as qu'à imaginer que t'es dans le salon et qu'il y a qu'Ash et moi.

— Oui, sauf que je serais sur la place centrale devant tout le village, marmonné-je.

Le jeune homme m'observe un instant pendant que nous marchons, se grattant le menton comme à son habitude. Après un instant de réflexion, il pose sa main sur mon épaule pour m'arrêter et m'obliger à me tourner dans sa direction. Avec réticence, je lève la tête afin de fixer ses iris verts. Bien que je ne sache pas pourquoi, l'idée qu'il me voit dans cet état me déplaît.

— Tu vas y arriver, assure-t-il. Tu l'as déjà fait plein de fois. Si vraiment tu commences à paniquer comme chez Tor, respire profondément et regarde que ton livre. Oublie qu'on est là.

Alex semble mal à l'aise pendant un instant, indécis, avant de poser sa main au sommet de ma tête et de frotter brièvement sa paume contre mon crâne. Puis, sans un mot, il se remet en marche. Je le regarde s'éloigner sans comprendre le but de ce geste. Est-ce un moyen de me réconforter ? De me donner du courage ? Ash, qui attend à quelques mètres de là que je la rejoigne, me regarde avec un sourire amusé. Le cœur plus léger, je me balance à l'aide de mes béquilles vers elle.

Mon humeur s'assombrit à nouveau lorsque je vois que la quasi-totalité du village est déjà là, autour du feu qui éclaire de sa lueur orangée les Sauvages qui discutent entre eux. Ash me conduit vers un tabouret et je m'assois dessus à contre-cœur, dos au brasier. Presque aussitôt, les conversations s'arrêtent et les auditeurs se mettent en place.

Les enfants sont assis à même le sol, entre les sièges sur lesquels se trouvent les adultes et moi. Leurs visages juvéniles m'observent avec fascination et je devine de l'excitation sur leurs traits. Derrière eux, les Sauvages plus âgés ont pris place sur de longs bancs. Au premier rang, je peux voir Tor qui lève le pouce en l'air lorsqu'il remarque que je l'observe. Les trois rangées de meubles disposés autour du feu ne suffisent pas pour la foule agglutinée autour de moi, aussi la plupart d'entre eux sont obligés de rester debout. À l'écart du groupe principale, Val et Kil se tiennent proche l'un de l'autre, adossés au mur d'une maison.

— Maintenant qu'Elonor est là, on va pouvoir commencer, annonce Tor. On t'écoute.

— Il y a quelques mots compliqués, intervient Ash. Mais attendez la fin de l'histoire pour demander ce qu'ils veulent dire. Sinon ça gâche tout.

Je ressens une bouffée de gratitude pour la guérisseuse qui se tient debout non loin de moi, juste à côté d'Alex. Celui-ci, les mains dans les poches, hoche la tête en signe d'encouragement. Le cœur battant à un rythme effréné, je prends une grande inspiration avant d'ouvrir le livre et de tourner les pages jusqu'à arriver au début du conte qui m'intéresse.

— Il était une fois, dans un pays fort lointain, commencé-je d'une voix tremblante. Un prince qui se languissait de sa dulcinée...

Concentrée sur ma lecture, j'oublie vite le groupe important qui m'entoure. Ash avait raison, je connais le livre par cœur à force de m'être entraînée chez elle. J'aurais même pu me passer du support visuel, mais cela aurait signifié être obligée de regarder le publique. Peu à peu, je sens ma voix prendre de l'assurance à mesure que l'histoire avance. Je garde les yeux résolument baissés sur les pages jaunies par le temps, cependant, je peux entendre les réactions des villageois lors des moments clés de l'intrigue.

Sans émotions Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant