Chapitre 8

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Mes yeux s'ouvrent sur un plafond immaculé, mon esprit s'allume sans transition, comme si quelqu'un avait appuyé sur un interrupteur.

Je me lève remplie d'appréhension et la tête bourdonnant de questions : comment vais-je pouvoir conserver mes émotions tout en échappant au contrôle prévu au centre de soin dans un mois ? D'ailleurs, comment vais-je faire pour les conserver tout court ? Il m'est impossible de ne pas dormir dans mon lit, puisque la garde peut vérifier qu'il se mette bien en marche, ce qui n'arrive que si un Habitant s'allonge dessus. Je suis donc condamnée à perdre progressivement mes émotions, pour la première fois de ma vie, je sens que le temps m'est compté. Pendant que je dresse mentalement la liste de toutes les difficultés qui se dressent entre mon plan et moi, je sens mon moral et ma motivation flancher.

Non, Eleanor, tu vas te reprendre et tu vas trouver une solution ! m'encouragé-je.

À peine ma toilette terminée, j'entends la porte de la cellule s'ouvrir derrière moi. Je me retourne pour voir le troisième garde, celui qui est trapu et brun, me saluer.

— Bonjour, Eleanor, belle journée.

— Bonjour, Ronald, belle journée, salué-je après avoir lu le nom imprimé sur sa poitrine.

— Suivez-moi.

Nous nous dirigeons vers l'ascenseur qui se trouve à quelques mètres de la chambre. Alors que les portes se referment, je me rends compte que je ne porte pas les entraves. J'étais tellement perdue dans mes pensées que je n'ai pas remarqué que l'on ne me les a pas mises. Je repense ce que Zacharie m'a dit hier : « Vous n'êtes pas considérée comme un réel danger pour la Ville ». C'est exact, je ne représente aucune menace. Au pire, je pourrais légèrement blesser un autre Habitant avant que les gardes n'interviennent et ne me maîtrisent à l'aide de leurs pistolet à impulsion électrique. Ce qu'il m'a dit est la vérité, et pourtant, je ne peux m'empêcher de ruminer sa phrase qui a heurté ma sensibilité, comme s'il s'agissait d'une attaque personnelle et non d'un fait.

Ronald me quitte lorsque je sors du bâtiment et je me rends seule à la cafétéria. Il y en a plusieurs dans la Ville, dont certaines qui sont plus proches que celle dans laquelle je prends habituellement mes repas. Cependant, je me dirige vers celle-ci dans l'espoir de voir William et, pour une fois, pouvoir lui dire autre chose que mes traditionnelles formules de politesse. Je ressens une profonde déception en voyant sa chaise vide. Un coup d'œil à mon bracelet m'indique que j'ai près d'une heure de retard.

L'avantage, maintenant que je n'ai plus besoin de cacher mon dégoût, est que je peux grimacer autant que je le souhaite en mangeant l'horrible gelée qui nous est servie tous les jours. Personne autour de moi ne remarque ce changement, ils sont tous entièrement concentrés sur leur assiette. Je me rends compte que si j'ai réussi à dissimuler mes émotions aussi longtemps, ce n'est pas grâce à mes talents d'actrice, mais au désintérêt de mon entourage et je ressens une profonde colère envers la fourchette qui m'a trahie.

Une fois mon plateau vide déposé sur le tapis roulant, je me dirige vers ma chambre. À l'intérieur de celle-ci, j'observe mon nouveau lit qui est en tout point identique à l'ancien : un matelas blanc posé sur un cadre en métal surmonté d'une tête de lit dans laquelle l'inducteur de sommeil et le modulateur d'émotions se trouvent. Je m'assieds devant mon bureau et l'écran affiche le message « accès refusés » en grosses lettres rouges. Je savais que je ne pouvais plus travailler, mais je ne pensais pas que l'utilisation de l'interface me serait totalement interdite, cela va compliquer mes recherches. Désœuvrée, je contemple le mur devant moi sur lequel se reflète la lumière rouge de l'écran, me demandant comment je vais bien pouvoir occuper ma journée.

Après de longues minutes à scruter le vide à la recherche d'une solution à mon problème, je décide de me promener dans la Ville. J'en ai rêvé il y a quelques jours et, maintenant que cela m'est enfin possible, autant en profiter. Une fois sortie du bâtiment, je me dirige vers le centre-ville en parcourant les rues vides. Puisque je n'ai plus besoin de cacher ma curiosité, je lève la tête et observe les immenses gratte-ciels gris dont les pointes semblent frôler le champ de force.

Sans émotions Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant