Chapitre 27

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Les trois jours qui ont suivi ma rencontre avec Lyl se sont déroulés presque exactement comme les deux précédents. J'ai enfin appris le nom de l'animal qui me réveille chaque matin en hurlant. Ash, à ma demande, m'a montré comment allumer le feu dans la cheminée et cuisiner des plats simples. Quant à Alex, il est passé chaque soir écouter une de mes histoires. Il m'a également accompagnée chercher plusieurs livres traitant d'architecture et de maçonnerie que j'ai remarqués lors de notre premier tri dans le sous-sol de Tor.

Plus le temps avance et plus je deviens angoissée. Chaque matin, lorsque que le chant du coq retentit, je sens mon cœur battre et, chaque soir, je ne cesse de me retourner de longues heures dans mon lit à la recherche le sommeil. Le jour de la convocation, je suis incapable d'avaler quoique ce soit, malgré les encouragements de la guérisseuse.

— Mange, me conseille Ash pendant le repas de midi. Il faut que tu prennes des forces, sinon tu risques de tomber dans les pommes devant Tor.

Je mets une cuillérée de la bouillie qu'Ash appelle « gruau » dans ma bouche. Il me faut un long moment pour mâcher la substance pâteuse avant de réussir à déglutir, chose que je regrette immédiatement lorsqu'une sensation de nausée apparaît.

— Je n'y arriverai pas, dis-je en repoussant le bol.

Ash soupire devant mon air abattu.

— T'inquiète pas, j'ai parlé à Mag hier. Elle m'a dit que les racines d'orties ont fait des merveilles sur ses genoux. C'est la preuve que le savoir des Ancêtres est utile.

Incapable de prononcer le moindre mot, je me contente d'observer le bois de la table à manger, les bras croisés. Sans que je ne puisse en expliquer la raison, les paroles de la jeune femme ne me rassurent pas, au contraire, je sens mon angoisse monter d'un cran. Par réflexe, je regarde le dos de mon poignet pour estimer le temps qu'il me reste avant de devoir me soumettre au jugement de Tor cet après-midi. Mais au lieu du bracelet noir qui m'a indiqué l'heure pendant tant d'années, je ne vois que ma manche.

Le temps passe à une vitesse affreusement lente. Même lorsque je devais cacher mes émotions dans la Ville, il me donnait l'impression de s'écouler plus rapidement. J'attends avec impatience qu'un chasseur frappe à la porte pour nous prévenir que le moment de quitter la maison est venu. La capacité des Sauvages à savoir quand ils doivent se rendre à un endroit sans pouvoir se fier à une montre m'impressionne. Si j'arrive à me faire accepter dans ce village, développerais-je ce talent ? Ou serais-je condamnée à dépendre des autres pour pouvoir arriver à l'heure à mes rendez-vous ?

Lorsque le bruit de jointures frappant contre le bois de la porte parvient à mes oreilles, je me mets aussitôt sur mes pieds pour ouvrir au chasseur. La panique qui menace de me submerger depuis mon réveil augmente encore d'un cran lorsque j'aperçois Kil à l'extérieur de la maison, son habituel sourire froid aux lèvres. Une envie irrationnelle de m'enfuir en courant s'empare soudain de moi. Si seulement Alex, ou encore Lam, était venu me chercher, j'aurais été plus calme.

Heureusement pour moi, Ash nous accompagne, ce qui me permet de me tranquilliser légèrement. Ralentis par mes béquilles, nous traversons les rues désertes et étrangement silencieuses. J'ai fini par m'habituer au bruit constant qui anime le village et qui parvient même jusqu'à l'intérieur de la maison d'Ash et, en ce moment, ce calme ne fait qu'augmenter mon malaise. Une fois sur la place centrale vide, qui est pourtant constamment animée depuis mon arrivée dans la tribu, je commence à m'inquiéter de l'absence des habitants.

— Où sont tous les villageois ? demandé-je.

— À ton avis ? répond Kil. Ils sont tous en train de t'attendre pour que Tor annonce ton exécution. Regarde, on a même déjà préparé le bûcher.

Sans émotions Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant