J'observe la boîte grise qui semble flotter dans l'air, celle par laquelle je suis arrivée il y a des années maintenant. Il est impossible d'ouvrir sa porte donnant sur la Ville depuis l'intérieur de la trappe, tout comme le mécanisme empêche d'ouvrir les deux battants en même temps. Cependant, si la porte de ce côté est fermée, il est possible d'en sortir vers l'extérieur. De cette façon, un parent qui regrette immédiatement son choix peut récupérer son enfant et, si celui-ci est récalcitrant, il peut en sortir pour rejoindre la personne qui l'y a déposée. L'espoir me fait tourner la tête, voilà la solution que je cherche depuis une semaine. Je m'oblige à reprendre le chemin du réfectoire de peur qu'un des gardes qui surveille mes allés et venues grâce à mon bracelet ne devine mes intentions et ne donne l'alerte.
Bien que ce dispositif s'appelle la trappe à bébés, il est en réalité assez grand pour contenir un enfant de dix ans. Son nom est une relique de l'ancien temps, une référence aux boîtes dans lesquelles les parents pouvaient abandonner dans un lieu sécurisé les nouveau-nés qu'ils ne désiraient pas. Il y a quelques années, j'ai été l'Habitante se trouvant le plus proche de celle-ci lorsqu'une mère y a déposé son fils, j'ai donc reçu un message sur mon bracelet pour me prévenir qu'il m'incombait d'aller le chercher. J'ai ouvert la trappe et j'ai fait sortir l'enfant qui était déjà assez grand pour parler et marcher, je l'ai pris par la main et je l'ai emmené à l'école. En réalité, traîner est un terme plus adéquat, puisqu'il ne voulait pas avancer et ne cessait d'appeler sa mère qui le regardait, impuissante, de l'autre côté du champ de force. Sur le chemin, j'ai ignoré les nombreuses questions qu'il m'a posées et, une fois sur place, les éducateurs ont pris le relais. Quand j'y repense aujourd'hui, je m'en veux de mon impassibilité, je sais désormais à quel point le désintérêt des autres peut être douloureux.
C'est en tremblant de la tête aux pieds que j'arrive devant la cafétéria. Je me force à respirer profondément pour me calmer, il ne faut pas que William se rende compte de l'agitation qui m'habite. Il a probablement été chargé de vérifier que la suppression de mes émotions ait bien lieu. Personne n'est mieux placé que lui pour cette tâche, puisqu'il me côtoie quotidiennement.
Tu vas rentrer là-dedans et tu vas lui raconter des banalités, comme d'habitude. Tout ira bien, me réconforté-je mentalement.
— Bonsoir, William, la journée a été chargée, dis-je en faisant de mon mieux pour que ma voix ne tremble pas.
— Bonsoir, Eleanor, une journée bien chargée en effet.
Je passe l'intégralité du repas à parler de choses et d'autres face à un William qui ne me prête aucune attention. Une fois mon assiette terminée, je fais de mon mieux pour ne pas me précipiter vers la sortie et me dirige lentement vers le musée. À quelques mètres de celui-ci, je vois Evangeline surgir d'une rue adjacente pour me suivre. J'ai fini par comprendre que je n'ai pas un garde attitré qui m'observe en permanence, c'est celui qui est chargé de patrouiller dans la zone qui vient me surveiller lorsque je m'approche d'un lieu important.
— Bonsoir, Evangeline, belle soirée, salué-je par automatisme.
— Bonsoir, Eleanor, belle soirée en effet, répond-elle.
Les formules de politesse sont les seules phrases que j'arrive à tirer de mes sentinelles. Si je leur dis quoi que ce soit d'autre, elles se contentent de m'ignorer. Je me mets à déambuler dans le musée pour qu'Evangeline ne comprenne pas que j'ai une idée précise en tête, puis je m'arrête dans la salle consacrée aux exploits sportifs. Très vite, je trouve ce qui m'intéresse : la femme la plus rapide de l'histoire a couru deux-cents mètres en un peu moins de vingt-deux secondes. Pour elle, cela aurait été facile d'atteindre la forêt avant que le laser ne s'enclenche, pour moi cela sera bien plus compliqué. Je cherche la vitesse de course d'une humaine lambda, mais malheureusement, je ne trouve cette information nulle part, je quitte donc le bâtiment pour retourner dans ma chambre avant l'heure du coucher.
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Sans émotions Tome 1
Science-FictionEleanor vit dans la Ville, une cité entourée d'un champ de force protégeant ses habitants de la pluie mortelle et des attaques extérieures. En échange, elle ne demande qu'une chose : abandonner ses émotions afin de vivre en harmonie avec les autres...