Mes yeux s'ouvrent sur un plafond immaculé, mon esprit s'allume sans transition, comme si quelqu'un avait appuyé sur un interrupteur. Je me lève immédiatement, inutile de regarder ma montre, car le lit me réveille toujours à six heures précises.
Il est tout aussi superflu de regarder autour de moi, je suis dans la chambre qui m'a été attribuée il y a six ans déjà, à l'occasion de mon quatorzième anniversaire et, depuis, rien n'a changé. Les murs et le mobilier sont toujours aussi blancs, le lavabo et la cuvette se trouvent à l'opposé du lit et une armoire murale discrète contenant mes vêtements se tient à côté d'eux. Sur le troisième mur, juste en face de la porte, tout l'espace est occupé par un bureau connecté au réseau de la Ville.
Autrefois, les gens ressentaient le besoin d'avoir un logement plus spacieux, mais désormais, ce sentiment est devenu obsolète. En réalité, tous les sentiments le sont depuis la création de la Ville. La seule chose que celle-ci demande en échange de sa protection est de dormir dans des lits spéciaux qui ont pour rôle de réguler le sommeil et d'effacer les émotions.
Je me dirige vers le lavabo et me déshabille afin de me laver le visage et le corps à l'aide d'une serviette. Pas de bain ni de douche dans la Ville, cela consomme trop d'eau. Une fois ma toilette faite, j'observe mes longs cheveux bruns afin de vérifier que ma coiffure est acceptable, puis j'ouvre mon armoire qui contient des pulls et des pantalons, tous de la même coupe et de la même couleur blanche. Dans la Ville, tout le monde porte le même uniforme, seul notre nom imprimé sur la poitrine, juste au-dessus du cœur, change.
Une fois prête, je sors afin de prendre le petit-déjeuner, mais avant cela, j'effectue ma promenade matinale. La sédentarité était un fléau dans l'ancien monde, une tare qui a été éradiquée dans la Ville. Deux fois par jour, chaque personne doit effectuer une marche d'au moins trente minutes. Bien qu'aucun Habitant ne ressente le besoin de déroger à cette règle, la garde vérifie que chacun s'y plie grâce aux bracelets de contrôle.
Le trajet de ma promenade ne change jamais, c'est le cas pour tous les Habitants. Je traverse les nombreuses rues entourées d'immenses gratte-ciels gris sans fenêtres jusqu'à arriver en périphérie de la Ville, passe devant l'école primaire où les citoyens trop jeunes pour avoir leurs sentiments effacés courent et crient à tue-tête dans la cour de récréation. Puis je longe le champ de force transparent qui recouvre la Ville comme une bulle et la protège de la pluie et des attaques jusqu'à arriver à la trappe à bébés. Une fois devant la trappe, je bifurque de nouveau vers le centre et passe devant le musée regroupant les vestiges de l'ancien temps avant d'arriver au réfectoire.
Une fois dans la cantine, je récupère au distributeur mon repas qui est le même quel que soit l'heure ou le jour : un bloc gélatineux contenant la moitié des apports en nutriments et calories dont mon corps a besoin dans la journée, le reste sera fourni ce soir lors du dîner. Chaque assiette est personnalisée pour chaque Habitant grâce aux données du bracelet qui sont transmises au service de restauration, ce qui leur permet de calculer avec exactitude les besoins de chacun.
Une fois mon plateau dans les mains, je me dirige vers ma place habituelle où un jeune homme blond m'attend, comme toujours, car il finit sa promenade quatre minutes avant moi.
— Bonjour, Eleanor, belle journée.
— Bonjour, William, belle journée en effet.
Nos regards ne se quittent pas le temps de notre échange, mais le reste du repas se passe en silence, sans contact visuel. Dans la Ville, les couples sont désignés dès l'enfance selon leur code génétique afin d'éviter les mutations délétères. William est mon conjoint. Dans cinq ans, nous serons chargés d'élever un enfant ensemble, puis trois ans plus tard, un second.
— Au revoir, Eleanor, à ce soir.
— Au revoir, William, à ce soir.
Nous échangeons notre second contact visuel de la journée avant de nous quitter. Je retourne dans ma chambre en prenant un chemin plus court. Une fois arrivée, je m'assieds à mon bureau et l'écran de l'interface inséré au mur s'allume. Un clavier bleu s'affiche sur la surface tactile de la table et me permet d'utiliser l'ordinateur.
Chaque jour, l'interface me désigne au hasard certains Habitants chez qui je suis chargée d'analyser les données de leur bracelet afin de détecter des maladies qui seraient passées au travers de l'algorithme de contrôle de la Ville. Je passe donc ma journée à analyser les paramètres vitaux des membres de la communauté à la recherche de variations minimes suspectes d'anomalie avant d'en faire un rapport complet.
À dix-huit heures, je sors de nouveau de mon appartement pour faire ma deuxième promenade du jour. École primaire, trappe à bébés puis musée avant de rejoindre William à la cafétaria. Encore une fois, nous échangeons un contact visuel lors de nos salutations.
— Bonsoir, William, la journée a été chargée.
— Bonsoir, Eleanor, une journée chargée en effet.
Le repas terminé, je retourne dans ma chambre afin de profiter de mon temps personnel qui me permet d'étudier le sujet de mon choix afin d'améliorer mes compétences. Je passe donc ma soirée à analyser les revues scientifiques dans le but de mieux détecter les variations des paramètres vitaux, même les plus infimes, qui me permettront d'identifier les citoyens à risque.
À vingt-deux heures précises, mon écran s'éteint et mon bracelet émet une sonnerie. Je n'ai pas besoin de le regarder pour savoir qu'il affiche désormais le message « allez dormir ». Après une toilette rapide, je me couche et ferme les yeux. Aussitôt, ma conscience s'éteint, comme si quelqu'un avait appuyé sur un interrupteur.
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Sans émotions Tome 1
Ciencia FicciónEleanor vit dans la Ville, une cité entourée d'un champ de force protégeant ses habitants de la pluie mortelle et des attaques extérieures. En échange, elle ne demande qu'une chose : abandonner ses émotions afin de vivre en harmonie avec les autres...