Sans émotions Tome 1

Chapitre 23

Un hurlement rauque et désagréable, le même que la veille chez Tor, retentit dans la pièce et me tire de mon sommeil. Mes yeux s'ouvrent sur un plafond beige composé de végétaux séchés, ma conscience s'éveille en s'extirpant difficilement d'un rêve. D'ailleurs, je ne me souviens que vaguement de ce dont il était question dans mes songes, quelque chose à propos de Francesca qui s'étouffe avec un des os minuscules d'un animal aquatique ?

Incapable de me résoudre à quitter la chaleur agréable que me procure la couverture, je reste un long moment allongé. J'en profite pour observer le contenu des bocaux posés sur l'étagères qui contiennent tous des végétaux de différentes espèces ainsi que des poudres aux couleurs variées. La guérisseuse les utilise-t-elle comme médicament ? Mes yeux se posent ensuite sur la fenêtre qui se trouve non loin, quelqu'un a comblé les interstices du cadre avec du tissu. Malgré ma fatigue de la veille, je suis à peu près certaine que ces linges n'étaient pas là lorsque je suis allée me coucher. Est-ce Ash qui les a mis en place ? Et si c'est bien le cas, pour quelle raison ?

Des bruits me parviennent depuis une pièce voisine et interrompent mes pensées, la guérisseuse doit déjà être réveillée. Je prends une grande inspiration pour me donner du courage, puis je me relève, la tête lourde. À peine ai-je retiré la couverture que le froid de la pièce m'assaille et je dois me faire violence pour ne pas retourner me réfugier dans la chaleur du lit.

Ash a déposé un bac d'eau et des vêtements propres sur une chaise. J'effectue donc ma toilette et enfile une tunique grise à manche longue qui m'arrive jusqu'à mi-cuisse ainsi qu'un pantalon noir, légèrement trop grand pour moi. Je mets également la botte en fourrure grise à mon pied gauche, ma cheville droite est encore trop enflée et douloureuse pour que je puisse porter la seconde.

Je quitte la chambre en boitant et me dirige vers la pièce principale d'où un fredonnement me parvient faiblement. Je m'arrête un instant, subjuguée par ce son, et devine qu'Ash est en train de chanter à voix basse. Ce n'est pas la première fois que j'entends de la musique, il y en avait quelques rares extraits au musée, mais je les ai écoutés à l'époque où mes émotions commençaient à faire surface et les mélodies ne m'atteignaient pas comme elles le font maintenant. L'air sans parole que fredonne la guérisseuse me procure un plaisir que je ne peux expliquer, ainsi que de la joie. Je ne peux m'empêcher d'être impressionnée par la faculté d'Ash à transmettre des émotions sans avoir à les verbaliser.

Malgré moi, mes pieds se dirigent vers la source de ce chant et, pour mon plus grand malheur, la guérisseuse cesse de chanter lorsqu'elle m'aperçoit.

— Salut, Ellie !

— Bonjour, Ash, belle journée, salué-je, surprise par mon nouveau surnom que j'avais oublié.

— Tu sais que bonjour et belle journée, ça veut dire la même chose ?

Je ne réponds pas, mais je sens le sang affluer dans mon visage. Oui, je le sais, mais je ne m'étais jamais fait la réflexion que je me répétais en saluant mon interlocuteur. Ne sachant pas ce qui est attendu de moi, je reste debout à regarder Ash s'activer autour d'un récipient métallique posé au-dessus du feu. J'aimerais lui proposer mon aide, mais je n'ai aucune idée de comment cuisiner.

— Assieds-toi, ordonne la jeune femme sans me regarder. Si tu veux que ta cheville guérisse un jour, il faut que tu la laisses se reposer.

J'obéis et prends place sur une des chaises. Peu de temps après, Ash dépose devant moi une assiette qui contient trois objets blancs ovales ainsi que le bâton brun que j'ai pu manger la veille, mais découpé en tranches cette fois. Puisque je ne connais pas les normes sociales chez les Sauvages, je décide d'appliquer celles de la Ville. J'attends donc que la jeune femme me rejoigne, le dos bien droit et les mains posées sur la table de part et d'autre du plat. La seule entorse à ce protocole est que j'observe Ash s'activer au-dessus d'une nouvelle casserole au lieu de fixer un point devant moi.