Chapitre 14

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Je me fige, paralysée par la peur. L'obscurité de la caverne ne me permet pas de distinguer quoi que ce soit, renforçant le sentiment de panique qui menace de me submerger. Je retiens de toutes mes forces une nouvelle quinte de toux, de crainte que l'inconnu derrière moi ne m'égorge pour avoir désobéis à son ordre.

Un nouvel éclair illumine la grotte. Sur la paroi en face de moi, j'ai le temps de distinguer une silhouette qui me surplombe. La pression de la lame se fait plus importante tandis que mes poumons luttent contre ma volonté et veulent me forcer à expectorer le sang qui les encombre. Alors que je combats ce réflexe, je sens une traction sur mes cheveux qui m'oblige à renverser ma tête en arrière dans une position désagréable.

— Où sont les autres ?

— Les autres ? articulé-je malgré ma poitrine prise de spasmes.

— Les tiens. Les Sang-Froids sortent jamais seuls de la Bulle.

Je n'ai pas le temps de lui demander des explications, mon corps finit par l'emporter sur ma volonté et je me mets à tousser de manière incontrôlable. De longues quintes se succèdent, m'empêchant de reprendre ma respiration. L'inconnu relâche mes cheveux et je m'affaisse à plat ventre sur le sol, le corps secoué par la toux.

Luttant pour pouvoir inspirer, je remarque à peine que l'on me met les mains derrière le dos avant de lier mes poignets avec une corde rugueuse. Après un long moment, les quintes se calment enfin et j'arrive de nouveau à respirer convenablement, bien qu'un petit sifflement s'échappe à chacune de mes expirations.

Épuisée, la joue contre le sol rocailleux et froid, je tends l'oreille pour essayer de déterminer ce que l'inconnu fait. J'arrive à percevoir des bruits derrière moi, comme si des objets cognaient l'un contre l'autre, avant que le silence ne revienne. Puis, après un moment, une lueur orangée éclaire le mur qui se trouve devant moi. J'observe la paroi en me demandant d'où provient la lumière.

Mon cœur se remet à battre rapidement et un frisson désagréable remonte le long de mon dos lorsque j'entends les pas de l'inconnu s'approcher. Je sens le col de mon pull se tendre et il me traîne sur le sol rugueux. Malgré ma faiblesse, j'essaie de me débattre, sans succès.

Lorsqu'il me laisse retomber sur le sol, j'aperçois l'origine de la lumière. Malgré la peur qui me tord le ventre, j'observe avec fascination les flammes osciller dans l'air et lécher un objet métallique posé sur un grillage au-dessus du feu. La lueur rougeâtre provenant du tas de bois en combustion se réverbère sur tout ce qui se trouve autour, donnant l'impression qu'une aura réconfortante enveloppe l'endroit tandis que la chaleur du foyer réchauffe mon corps. J'oblige mes yeux à se détacher du feu pour focaliser mon attention sur l'inconnu dont je n'aperçois que les longues jambes.

À l'aide de son pied, il repousse mon bassin pour me mettre sur le dos et j'arrive enfin à distinguer son visage. Ses traits me semblent jeunes, il doit avoir environ mon âge. Ses yeux froncés sont fixés sur les miens et ses lèvres serrées sont perdues dans une courte toison de poils de la même couleur que ses cheveux bruns. Je me demande un instant pourquoi son menton et une partie de ses joues sont cachés ainsi avant de me rappeler que les hommes ont de la barbe s'ils ne se rasent pas, ce qui n'est pas le cas des Habitants de la Ville. Il s'accroupit à côté de moi, son couteau toujours en main.

— Où est le reste de ton groupe ?

Je le regarde, désemparée. Chacune des inflexions de sa voix, chaque appui sur un mot, chaque mouvement infime des muscles de son visage, chacun des gestes qu'il effectue avec son corps semble véhiculer un message. Je me retrouve soudain submergée d'informations visuelles et auditives que je n'arrive pas à analyser. Tout ce que je sais, c'est que l'ensemble de ces signaux m'effraie.

— Réponds ! ordonne-t-il d'une voix forte.

L'inconnu pose de nouveau la lame effilée sur mon cou tandis que je sens un nouvel accès de toux remonter le long de ma gorge. Je déglutis dans une tentative désespérée de la contenir avant de lui répondre d'une voix faible.

— Je ne sais pas de quoi vous parlez, je suis seule.

Il me fixe avec ses yeux verts et se gratte le menton avec la main qui ne tient pas le couteau. Incapable de me retenir plus longtemps, je me remets à tousser violemment et entaille la peau de mon cou contre le couteau. L'inconnu retire celui-ci et attend que je me calme avant de reprendre.

— Les Sang-Froids ne se déplacent jamais à moins de cinq, affirme-t-il.

Encore une fois, la toux recommence, plus violente que jamais, et je me plie en deux en cherchant désespérément à remplir mes poumons d'air. Pendant ce temps, le Sauvage m'abandonne et retourne auprès du conteneur métallique. Une fois ma respiration revenue à la normale, l'homme s'approche de moi, un verre en terre cuite dans la main. Il m'attrape par le bras pour me forcer à m'asseoir et approche le récipient de mes lèvres.

— Bois. J'en ai marre de t'entendre cracher tes poumons.

Ce n'est pas de l'eau, c'est un liquide au goût désagréable et âcre. Cependant, je suis tellement assoiffée que j'avale la boisson bouillante malgré la sensation de brûlure que cela provoque dans mon œsophage. Une fois la dernière goutte ingurgitée, je remarque que ma gorge me semble déjà moins irritée.

— Qu'est-ce que tu fabriques seule aussi loin de la Bulle ?

— Je me suis enfuie.

— Pourquoi ?

— Je suis une criminelle, ils m'auraient exécutée.

Cette réponse est loin de refléter toute la complexité de ma situation, mais je n'ai pas la force d'expliquer en détails les événements qui m'ont conduite ici. L'adrénaline qui m'a maintenue alerte jusqu'à présent reflue désormais et la fatigue s'abat lourdement sur moi. Si l'inconnu ne me retenait pas le bras d'une main ferme, je me serais écroulée sur le sol.

Le Sauvage se relève et regarde la pluie à travers l'ouverture de la grotte, sa main gauche fourrage encore une fois dans sa barbe pendant qu'il réfléchit. Malgré ses habits épais, cousus dans un tissu brun, je remarque que sa silhouette est plus massive que celle des Habitants. Il est même plus large que les gardes qui sont pourtant les Habitants les plus musclés. En comparaison, ceux qui vivent dans la Ville semblent filiformes.

Maintenant que je ne suis plus soutenue par l'inconnu qui est absorbé dans ses pensées, je me laisse tomber sur le sol et observe les flammes qui, pour une raison étrange, me fascinent. Je lutte un instant contre la fatigue, par peur que le Sauvage ne me tue dans mon sommeil, puis je finis par abandonner. Mes paupières se ferment et, malgré les quintes de toux et ma respiration sifflante, je me laisse bercer par la chaleur et le crépitement du feu avant de sombrer dans le néant.

Sans émotions Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant