Chapitre 40

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Délaissant Lyl et son enfant, je me dirige vers le village. Comme à chaque fois que je ressens une grande joie, ce moment de bonheur ne dure pas longtemps. L'euphorie que m'a provoqué la naissance du bébé s'estompe déjà, remplacée par un sentiment que je ne comprends pas tout à fait. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il n'est pas agréable. Pas insupportable non plus, mais je ne souhaite pas continuer à l'éprouver, ni le ressentir à nouveau un jour.

Je n'y ai jamais pensé auparavant, mais j'ai également des parents. S'ils sont encore en vie, ils se trouvent quelque part hors du champ de force de la Ville. La naissance dont je viens d'être témoin me l'a rappelé. Rien qu'à l'idée d'avoir été déposée dans la trappe, je sens ma gorge se serrer et quelque chose enfler dans ma poitrine. Pas de l'angoisse, pas de la colère, pas vraiment de la tristesse. Un sentiment que je n'aime pas. Une envie de posséder le même lien qui unit cet enfant à sa mère et une souffrance à l'idée que cela me sera à jamais impossible.

Ce n'est pas le moment de penser à tout cela, Lyl est seule et je lui ai promis de lui envoyer quelqu'un aussi vite que possible. J'accélère le pas autant que la végétation dense me le permet afin d'atteindre rapidement le village. Lorsque je quitte le couvert des arbres et que j'atteins à la première maison sur mon chemin, une femme dans la trentaine m'observe, les yeux écarquillés. Je m'avance dans sa direction et, après une courte hésitation, elle s'approche également de moi.

— Ça va ? Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

Ses yeux descendent vers ma tunique déchirée et tachée de sang avant dériver vers mes mains également écarlates. J'aurais peut-être dû penser à les nettoyer dans la rivière avant d'aller chercher de l'aide.

— Je...

Ma voix est étranglée et faible. Parler aux inconnus m'angoisse toujours et c'est encore pire lorsque je suis seule avec eux. Je dois me faire violence pour élever la voix et formuler une phrase complète.

— Je vais bien, expliqué-je en enchaînant rapidement les mots. Lyl vient d'accoucher, elle m'a demandé de lui envoyer quelqu'un pour lui tenir compagnie pendant que je cherche Lam.

Les yeux de la femme s'agrandissent encore plus et elle jette un regard rapide en direction de la forêt.

— Eh ben ça alors ! Elle est où ?

— Vous... Tu acceptes d'aller lui tenir compagnie ? demandé-je, soulagée.

— Oui, oui. Dis-moi juste où elle est. La forêt est grande, je te rappelle ! J'arriverais pas à la trouver si t'es pas plus précise.

Je lui indique le chemin que j'ai emprunté pour venir ici et la Sauvage s'engouffre rapidement dans la forêt. Alors que je commence à me diriger vers la demeure de Tor, je me rends compte qu'il aurait été plus simple d'envoyer la femme à la recherche de Lam. Elle connaît bien mieux que moi le village et les habitudes des chasseurs.

C'est frustrée par ma lenteur d'esprit, que je continue mon chemin à travers le village. Quelques rares personnes s'approchent pour me demander si j'ai besoin d'aide, mais la plupart des villageois qui m'aperçoivent s'écartent de ma route, effrayés par ma tenue ensanglantée. Partout où je vais, j'entends des murmures dans mon dos.

Alors que la demeure de Tor apparaît enfin dans mon champ de vision, une main s'abat sur mon épaule et me force à me retourner. Je me retrouve nez à nez avec Val dont l'expression est encore plus hostile qu'à l'accoutumée. Sa forte masse musculaire a diminuée en raison de la longue pluie, mais ses biceps dessinés et tendus restent bien plus impressionnants que ceux de la majorité des autres Sauvages.

— C'est le sang de qui que t'as sur toi, Sang-Froid ?

Les doigts de Val s'enfoncent avec encore plus de force dans mon épaule, ce qui m'arrache une grimace de douleur. Au vu du sourire qu'elle affiche désormais, dévoilant ses dents acérées, je devine que c'est dans le but de me faire souffrir qu'elle a resserré sa poigne, et le résultat lui plaît.

Sans émotions Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant