Chapitre 36

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William est assis en face de moi, le dos droit et les mains posées sur la table des deux côtés de son plateau repas. Il fixe un point droit devant lui, sans faire attention à moi. Face à son désintérêt, je sens la colère exploser en moi.

— Cesse de m'ignorer ! m'exclamé-je en frappant la table avec mes poings fermés.

Le jeune homme ne bouge pas, il continue à observer le vide, son regard passe à travers moi comme si je n'existais pas. Ma colère est désormais un feu qui ravage tout mon corps et je jette son assiette contenant le bloc de nutriments à l'autre bout de la pièce. Toujours pas de réactions.

J'ai soudain l'impression d'être spectatrice de la scène. Mon corps bouge, ma bouche prononce des mots, mais ce n'est plus moi qui en ai le contrôle. J'attrape le jeune homme blond par son col et je commence à le secouer avec force pour obtenir une réaction de sa part.

— Dis quelque chose ! hurlé-je. Fais quelque chose, William !

Il tourne lentement la tête dans ma direction, son visage neutre ne reflète aucune expression. Je sens mon pouls cogner contre mes tempes et une envie de crier de frustration au plus profond de mon être. Après une attente interminable, ses yeux se posent enfin sur les miens et sa bouche s'ouvre.

— Bonjour, Eleanor, belle journée.

Un long hurlement de colère m'échappe tandis que je le secoue avec encore plus de force. Soudain quelqu'un m'attrape par l'épaule et je me sens tirée en arrière.

***

— Ellie, réveille-toi.

Une main sur mon épaule me fait sursauter et, avant que je ne puisse me relever, une quinte de toux m'en empêche. Ash se trouve au-dessus de moi, le visage fatigué et une tasse de son remède entre les mains. Même si elle est toujours dans un état déplorable, elle semble avoir repris des forces depuis la veille. Une fois que ma respiration revient à la normal, elle m'aide à me redresser avant de me tendre le breuvage.

— Tu faisais un cauchemar ? demande-t-elle. Je t'entendais gémir.

— Je ne suis pas sûre qu'on puisse vraiment appeler ça un cauchemar, mais ce n'était pas un rêve agréable.

— Je vois.

La jeune femme s'assied à côté de moi en toussant fortement. Nous nous trouvons toujours dans la grande salle, chez Tor. Après avoir passé trois semaines dans le froid en raison de la pluie qui a rafraîchit l'atmosphère, le feu qui brûle dans le braséro est un vrai bonheur. Cependant, les Sauvages couchés dans la pièce, dont la respiration difficile se fait entendre, alourdissent l'ambiance du lieu et étouffent le léger sentiment de joie provoqué par la lueur orangée du bois en combustion.

Après m'être occupée des patients de Ash pendant qu'elle dormait, j'ai fini par m'allonger par terre, à même le sol, afin de me reposer quelques minutes. J'ai dû succomber au sommeil sans m'en rendre compte puisqu'il faisait encore nuit noire à ce moment et que, désormais, le ciel nuageux à l'extérieur est bien visible.

— Comment va Lyl ?

— Fatiguée et elle tousse beaucoup, répond la guérisseuse. Le bébé a recommencé à bouger, ce qui est une très bonne nouvelle. C'est encore trop tôt pour en être sûr, mais je pense qu'elle va s'en tirer. En général, si les gens survivent une journée entière après la fin de la longue pluie, ils survivent tout court.

Rassurée par les paroles de la jeune femme, je sens le poids qui comprime ma poitrine depuis la vieille s'alléger considérablement. Voir les Sauvages mourir pendant que je m'occupais d'eux est une épreuve que je ne souhaite pas revivre. Malheureusement, ce sera le cas chaque année si la tribu m'accepte parmi elle.

Sans émotions Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant