Chapitre 62

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— C'est quoi ça déjà ?

— C'est un E !

— Mais non, c'est un F !

Les enfants commencent à se disputer et je soupire. C'est déjà la troisième fois que cela arrive ce matin et je n'ai plus le courage de les calmer. En réalité, cela fait plusieurs jours que je n'ai plus l'énergie nécessaire pour faire quoi que ce soit. Après la révélation sur la trahison d'Alex, j'ai passé la soirée et une bonne partie de la nuit à pleurer avant de m'endormir, épuisée. Depuis, je me sens anesthésiée. Plus rien ne m'affecte, plus rien n'attire mon intérêt et je passe mon temps libre assise dans mon fauteuil à ne rien faire.

— Ellie, Ellie ! C'est quelle lettre ?

Soph me met la tablette de cire sous les yeux, sur celle-ci se trouve un F majuscule gravée d'une main maladroite. Puisque je n'ai aucune idée de la manière dont le papier est fabriqué, il m'a fallu trouver un autre support sur lequel les enfants puissent apprendre à lire et à écrire. Ces trois derniers jours, je dessinais les lettres à même le sol avec un bâton, comme je le faisais avec Alex. Cependant, il y a une différence de taille entre enseigner à un adulte concentré et enseigner à une vingtaine d'enfants surexcités qui se massent autour de moi en piétinant l'alphabet que je viens d'inscrire dans la terre.

Grâce à un des livres d'histoire de Tor, j'ai pu trouver une alternative aux feuilles de papier. J'en ai donc parlé à Ed qui a accepté de nous fournir les tablettes qui sont constituées d'un cadre en bois dans lequel se trouve de la cire. Il s'est également chargé de fabriquer les stylets dont la partie pointue permet de graver les lettres et la partie plate de lisser la cire une fois qu'elle est chauffée. Malheureusement, il n'y a actuellement que quatre tablettes pour tout le monde, ce qui est source de conflit chez ces enfants qui se disputaient déjà bien assez avant.

— C'est un F, répondé-je d'une voix lasse.

— Vous voyez ?! Je vous l'avais bien dit !

Les enfants recommencent à se quereller afin de savoir qui avait raison et qui avait tort. Je lève la tête vers le soleil afin de déterminer l'heure et de savoir si je peux enfin mettre fin à cette torture.

— Les enfants, il est bientôt midi on va arrêter pour aujourd'hui. On reprendra demain.

Aussitôt, les élèves s'éparpillent en direction de leur maison, prenant à peine le temps de me lancer des aurevoirs pressés. Je ramasse les tablettes abandonnées à même le sol avant de rentrer chez moi. Cinq jours ont déjà passés depuis notre retour au village et, depuis, j'enseigne chaque matin la lecture aux enfants de la tribu. Heureusement, aucun adulte ne s'est manifesté pour me demander des cours. Par conséquent, j'ai toutes mes après-midis de libres.

Une fois arrivée chez moi, je me laisse tomber sur mon fauteuil, épuisée. Un livre m'attend sur la table basse, mais je n'ai ni l'envie, ni l'énergie de me plonger dedans. Je me contente donc de rester assise, les yeux dans le vague. Mon regard s'arrête sur la porte, je me demande si Alex va revenir ce soir. Les trois premières nuits qui ont suivies notre dispute, il est venu toquer à ma porte en disant qu'il souhaitait s'expliquer. À chaque fois je l'ai ignoré, en grande partie parce que je craignais que nous nous disputions à nouveau, mais aussi par cruauté, car je savais que cela le faisait souffrir. Il n'est pas revenu hier soir.

Mon estomac se met à gronder et me sort de mes pensées. Je me force à me lever pour me chercher à manger. Je n'ai plus eu la force de me préparer des repas depuis mon retour, Ash l'a remarqué et, depuis, elle m'amène de la nourriture tous les jours. Elle a dû passer ce matin pendant que j'étais absente, car je trouve un bol de soupe et du pain frais sur la table.

Sans émotions Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant