Chapitre 12

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Je n'eus pas besoin de réveiller Yaël, mes mouvements l'ayant sans doute alerté. Dans tous les cas, lorsque je me tournai vers lui, il était déjà habillé et prêt à descendre voir ce qu'il se passait.

À peine arrivé dans la pièce à vivre, il prit la direction de la sortie en tenant fermement ma main dans la sienne.

- Tu ne t'éloignes pas de moi. Sous aucun prétexte, ordonna-t-il.

Je ne cherchai pas à discuter et acquiesçai rapidement face à son visage fermé.

Contrairement à ce que je pensais, on ne se dirigea pas vers le Lac-miroir et on prit le chemin menant à la Grande Tour. Yaël se mit à courir, tout en me maintenant fermement près de lui. J'avais dû mal à le suivre, mais je ne dis rien, faisant au mieux pour ne pas tomber durant cette course folle.

Au pied de la tour, je vis Misha qui y était adossé. Sans ralentir, Yaël lui intima d'aller chercher Stan au plus vite, lui indiquant qu'il saurait où nous rejoindre. Puis, sans attendre, il poussa la porte pour s'engouffrer à l'intérieur. Je m'attendais à monter les escaliers, toutefois il se faufila vers un passage placé derrière ces derniers et nous descendîmes de plusieurs étages. Rien à l'extérieur ne laissait deviner l'existence de ce bâtiment souterrain.

La précipitation de Yaël ne me laissait toutefois pas le temps de découvrir les lieux, mais je constatai que cela semblait assez grand. Après avoir descendu trois étages, nous prîmes un long couloir et dépassâmes plusieurs portes. La torche que Yaël avait prise à l'entrée nous éclairait faiblement, mais cet endroit n'avait définitivement rien à voir avec les prisons du royaume de Hululy. Ce n'était pas que j'en avais visité pléthore, mais la description qu'on m'en avait faite, ou que mon imaginaire avait créée, était très éloigné de l'endroit où je me trouvais.

Yaël s'arrêta devant une grande porte en bois à deux battants. Encore une fois, ça ne ressemblait pas à celle de la petite geôle que j'avais occupée au Palais. Pourtant derrière, il y avait bien Éric et Kallie. Cette dernière était fermement attachée, avec un soin particulier pour que sa main restante ne puisse rien toucher et qu'Éric puisse à sa guise utiliser son pouvoir.

Si je n'avais pas eu la certitude que c'était Kallie, je dois avouer que je ne l'aurai pas reconnue. Je fus prise d'un soubresaut quand mes yeux se posèrent sur elle. Je m'attendais à la voir amochée, je me doutais bien de ce qui se passait ici, je n'étais pas naïve, et pourtant j'étais loin du compte.

Je ne pouvais ignorer les lamelles de peau qui manquaient tout au long de ses bras et les ecchymoses qui parsemaient son corps, mais ce n'était pas cette vue qui me troubla le plus. Le sang, je connaissais, les hommes étaient violents, le monde dans lequel on évoluait était brutal, sa cruauté ne me choquait plus. En revanche, ce regard, je ne l'avais jamais vu. C'était celui de la folie. Son âme n'était pas éteinte bien au contraire, ces iris s'agitaient dans tous les sens, cherchant une quelconque issue à un malheur impossible à déjouer.

Puis, elles se posèrent sur moi. Ses grands yeux noirs de furies ne me quittèrent plus, comme si elle essayait d'absorber mon essence vitale par ce simple échange. Soudain, elle se mit à hurler, d'une voix si aigüe qu'elle me vrilla les tympans. Yaël s'approcha d'elle et l'assomma d'un coup net avec le manche de sa falcata. Kallie perdit connaissance.

- Éric, aide-moi, il faut qu'on la déplace, exigea Yaël. Ils essaient de la récupérer.

- Pour aller où ? demanda Éric. Ils ne la trouveront pas si facilement ici.

- Oui, mais ils sauront où chercher, renchérit Yaël. Je ne veux pas qu'il sache où elle est.

Je trouvais que c'était effectivement un juste retour des choses et je fus contente de voir qu'Éric ne posa pas plus de questions pour aider Yaël. Ils se saisirent de Kallie et nous sortîmes de cette cellule. Plutôt que de prendre le chemin inverse, Yaël et Éric se dirigèrent d'un commun accord vers une autre issue. J'avais décidément encore beaucoup de lieux à découvrir à la Grand'Astrée.

Nous nous enfonçâmes dans le souterrain et je compris que l'on était en train de s'éloigner du bois millénaire. Je ne savais pas exactement où nous allions sortir, mais je me doutais qu'il y avait peu de chance qu'on nous cherche de ce côté-là, surtout que tout le monde savait que Kallie était prisonnière à la Grande Tour.

Après quelques minutes de marche, nous remontâmes vers la surface. Nous nous dégageâmes de l'étroit passage pour arriver à l'intérieur d'un petit abri inhabité et quelque peu délaissé. Yaël referma aussitôt la trappe et fit en sorte de la dissimuler de nouveau. Je me demandais combien d'astréiens étaient au courant de l'existence de ce passage secret.

Yaël jeta un rapide coup d'œil à l'extérieur et je fis instinctivement de même. Le soleil ne s'était pas encore levé, mais le ciel s'était éclairci nous permettant de voir à proximité. Je ne reconnus pas les lieux, mais cela ne m'étonnait pas vraiment, surtout qu'il n'y avait que des arbres autour de nous.

- Est-ce que tu sais combien ils sont ? demanda Éric.

- Non, nous les avons vus du sommet de chez nous franchir le Lac-miroir. Nous sommes venus directement. Je dirais qu'ils doivent être une dizaine, mais cela importe peu.

Yaël jeta un regard dans ma direction avant de continuer.

- Nous n'avons plus de temps.

Je compris ce qu'il insinuait. J'étais prête, je sentais que mon pouvoir ne faisait que s'amplifier et se renforcer. Je le maîtrisais de mieux en mieux, je saurais obtenir de Kallie l'information que nous désirions.

- Fais-moi confiance, lui assurai-je.

Je m'approchai de Kallie, encore inconsciente. Je m'attardai sur les liens qui nouaient ses jambes, vis les endroits où sa chair avait été mise à nue et constatai l'état de ses orteils mutilés. Pourtant, je n'arrivais à avoir aucune empathie pour elle. Je canalisai au contraire toute ma colère, décidée à tout faire moi aussi pour obtenir ses aveux et retrouver mon fils.

Je posai ma main sur elle et me concentrai. Je fermai les yeux pour tenter plus facilement de me glisser dans ses souvenirs. J'inspirai une bonne fois et diffusai mon pouvoir pour m'insinuer dans son esprit, mais aucune image ne me vint. Je restai un moment comme ça, focalisée sur cette tâche que je n'arrivais pas à accomplir.

Quand je rouvris les yeux, Kallie les ouvrit aussi. Elle esquissa un grand sourire quand elle constata mon impuissance à lui soutirer une quelconque information. Yaël m'attrapa aussitôt par le bras et me fit reculer. Il m'entraîna à l'extérieur et marcha jusqu'à ce qu'il fut certain que Kallie ne puisse pas nous entendre. Il était agité, sans doute l'avais-je déçu. Il se mit à tourner en rond sans raison, passant frénétiquement sa main dans ses cheveux jusqu'à s'en tirer la racine.

- J'ai une solution, mais elle ne me plaît pas, finit-il par dire.

- Laquelle ? demandai-je aussitôt.

- Si tes visions ne fonctionnent pas, c'est parce que tu éprouves de la colère pour elle. Izi, c'est la peur qui déclenche tes visions.

- J'ai peur Yaël, je suis terrifiée à l'idée de ne jamais revoir notre fils.

- Je sais, mais ce n'est de toute évidence pas suffisant.

Je ne me blessai pas de sa remarque acerbe, je connaissais l'état d'énervement qui était le sien, j'étais dans le même état.

- Quelle est ta solution ? demandai-je à nouveau.

Il se frotta rapidement le visage, baissant les yeux. Il semblait particulièrement mal à l'aise. L'idée ne lui plaisait apparemment vraiment pas et il hésitait à me la confier. Il devait chercher un autre moyen d'arriver à nos fins, mais il n'y en avait pas.

- Éric va t'aider à avoir une prémonition, finit par dire Yaël.

Son regard se fit plus intense, il essayait de savoir si je comprenais ce que cela impliquait et je ne le compris que trop bien. Éric allait utiliser son pouvoir sur moi. Il allait faire vivre dans mon esprit mes plus grandes peurs.

La Grand'Astrée. La légende d'Izi et de Yaël - Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant