Nous avions été installées à l'étage. Balthazar nous y avait conduites et montré nos chambres. Nous ne manquions de rien, et nous étions pour le moins traitées comme des hôtes. Ils n'avaient apparemment pas peur que l'on tente de s'enfuir, ce qui était assez surprenant, car je ne pensais qu'à ça. Dès que nous fûmes seules, je regardai par la fenêtre pour évaluer les opportunités qui s'offraient à nous. L'endroit semblait isolé. La pluie abondait, mais je perçus au loin la lisière d'une forêt. Elle nous permettrait de nous mettre à couvert, mais avec Mélinda et Isaïah, ma course serait ralentie. Je devais agir avec prudence.
- Il faut que l'on sache où nous nous trouvons, informai-je Mélinda. Est-ce que tu connais le nom de ce lieu ? Le temps est-il toujours aussi maussade ? Sommes-nous au Nord ?
- Je l'ignore. En tout cas, il faisait beau avant ton arrivée. Dès que tu as franchi le portail magique, il s'est mis à pleuvoir, sans qu'il n'y ait aucune éclaircie.
Yaël, pensai-je.
- Pas d'indices qui pourraient nous positionner sur une carte ? insistai-je.
- Les propriétaires avaient un accent, mais je ne sais pas de quelle origine.
- Les propriétaires, bien sûr !
Je me dirigeai vers le bureau et posai mes deux mains dessus. J'eus rapidement l'information que je cherchai.
- Nous sommes dans une maison de famille, proche du village de Stynax. Nous sommes sur les terres de Hululy ! affirmai-je satisfaite.
Elle ne me demanda pas comme je le savais. Elle avait dû voir bien trop de choses étonnantes ces derniers jours pour se formaliser devant un pouvoir invisible, qui plus est pas très utile dans notre situation. Elle semblait si fatiguée. J'étais tellement triste de blesser sans le vouloir tous ceux de mon entourage.
- Ça va aller ? lui demandai-je.
- Je ne suis plus de toute première jeunesse, mais ne t'en fais pas pour moi. Tu as l'air d'avoir bien assez de soucis pour que je ne t'en rajoute pas.
- Tu n'as jamais été un souci, bien plus une solution. Tu as toujours été là pour nous et tu es encore là, malgré ce qui est arrivé... Tu as veillé sur notre enfant. Merci. Merci mille fois Mélinda. Sincèrement.
Elle hocha la tête avec un sourire entendu.
- Où est Yaël ? me demanda-t-elle.
- Ne t'inquiète pas, la rassurai-je, il ne va pas tarder. Il me cherche, il ne sait pas encore comment me trouver, mais il va y arriver.
Des images de Yaël me parvenaient, elles aussi de façon décousue. Passé, présent, futur, j'avais du mal à discerner les faits, mais le visage de mon mari m'insufflait l'espoir dont j'avais besoin. Il me cherchait.
Quelqu'un toqua à la porte et glissa sous celle-ci une petite enveloppe. Je l'ouvris et en sortit un petit carton où étais écrit :
« Vous êtes invitée au dîner de ce soir. Merci de venir seule, la réception est réservée aux seuls astréiens. »
Je lus le message à haute voix. Ce n'était pas vraiment une invitation, je n'avais guère le choix. Il était de toute façon temps que j'en sache plus sur leurs intentions. Mélinda m'assura qu'elle prendrait soin d'Isaïah durant ce temps.
- Je suis fatiguée, je vais me reposer, conclus-je.
Ma tête me lançait encore et j'avais du mal à rester debout. Je devais prendre des forces avant le repas de ce soir. Mélinda proposa de garder Isaïah dès à présent, mais je refusais. J'avais besoin de lui pour me ressourcer réellement.
Une fois Mélinda partie, je rejoignais ma couche. Un berceau avait été placé dans la chambre, mais plutôt que de l'utiliser, je plaçai Isaïah sur le lit, roulant l'édredon sur le côté pour qu'il ne puisse pas tomber et le protégeant de l'autre côté de mon corps.
Il ne dormait pas, il était attentif à tout ce qui l'entourait. Je me mis à lui parler et il m'offrit toute son attention. Son sourire était si innocent, si rafraîchissant. Je lui expliquai que son père n'avait pas pu nous rejoindre, qu'il avait essayé sans arriver à temps, mais que ce n'était pas grave, que j'étais là et qu'il ne tarderait pas à nous rejoindre. Il semblait m'écouter et je continuai dès lors à lui expliquer la situation à voix basse. Mes mots étaient presque des murmures.
- Le peuple t'attend mon fils. Tu es leur Prince à présent, mais n'ait crainte, tu seras à la hauteur de cette tâche. Tu seras celui qui inaugurera une nouvelle ère. C'est écrit. Les dieux te protègent et te protégeront toujours.
Je continuai à lui parler de l'avenir qui l'attendait. Je ne sais pas lequel de nous deux plongea le premier dans le sommeil, un tambourinement à ma porte me réveilla et Mélinda entra dans ma chambre pour me prévenir que l'heure du dîner approchait. Il fallait que je me prépare. Je la remerciai et me dirigeai vers le broc pour me rafraîchir.
Je constatai qu'une garde-robe m'avait été constituée. J'avais pris pour habitude depuis mon départ d'Azadjan de porter des pantalons et je grimaçai en constatant qu'il n'y en avait pas. Ce n'était de toute façon pas le meilleur choix pour un dîner, mais je pris néanmoins celle qui laisserait le plus de liberté à mes mouvements. Je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre.
On ne me considérait toutefois apparemment pas comme une menace. Ils n'avaient même pas pris le soin de me retirer mon pugio. Je l'avais retrouvé dans son fourreau à mon réveil. Je l'attachai à ma jambe malgré tout. Il n'était pas vraiment question de se battre contre les astréiens, je n'avais aucune chance, même avec mon don. Néanmoins l'avoir avec moi me rassurait toujours.
Mélinda m'aida à ajuster ma tenue. Ce n'était pas une robe du royaume de Hululy, elle venait du Conflent, j'avais vu des femmes de là-bas en porter. Le tissu était léger et ressemblait davantage à de longues voiles, nouées entre elles et entrouvertes sur les côtés. Cela laissait toute fluidité de mouvements bien que ce n'était pas très adapté au climat de la vallée de Stynax.
J'allais partir lorsqu'Isaïah se mit à pleurer. Mélinda me rassura immédiatement.
- Ne t'inquiète pas, il faut juste le changer. Vas-y, je ne pense pas qu'il fasse les contrarier et s'il te plait, fais attention à toi, cela n'arrangera pas notre situation de les mettre en colère, tu ne crois pas ?
Elle n'avait apparemment rien loupé de mon précédent échange avec Aequor.
- C'est à toi de ne pas t'inquiéter, je sais ce que je fais.
Mon ton fut plus sec que je ne l'aurai voulu. J'étais en train de me recomposer mon masque de reine.
- Excuse-moi, ajoutai-je de suite.
- Ce n'est rien, m'assura-t-elle. Je ne sais pas exactement qui tu es, mais tu es importante et je sais que tu as beaucoup de responsabilités qui pèsent sur tes épaules. Fais juste attention, d'accord ?
Un jour je lui raconterai, je lui montrerai la vérité. Elle méritait de savoir.
- Je te le promets, répondis-je. Pour le moment, il nous faut juste gagner du temps et savoir ce qu'ils préparent. Tiens-toi juste prête à partir à tout instant.
- Entendue.
J'embrassai mon fils qui chouinait encore un peu, mais qui avait cessé de crier et les laissai tous deux pour rejoindre les astréiens qui nous avaient trahis.
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La Grand'Astrée. La légende d'Izi et de Yaël - Tome III
FantasyLa guerre est sur le point d'éclater dans le royaume de Hululy. Izi s'apprête à affronter Storm. Elle veut récupérer le pouvoir pour le donner à son fils, seul héritier légitime au trône. Mais alors que la victoire lui semble déjà acquise, tout basc...