Chapitre 24

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L'exécution de Storm avait été célébrée comme une réelle fête. J'étais toujours étonnée de l'euphorie que pouvait susciter une exécution au sein du peuple. Les Hululiens avaient toujours aimé assister à la justice royale.

La situation était bien sûr différente aujourd'hui. Il s'agissait de mettre fin à la vie de celui qui venait de régner durant toutes ces années en oppressant les Hululiens. Il y avait un air de revanche dans le regard des gens, cette mort était perçue comme une victoire et la place du marché était pleine à craquer lorsque vinrent les douze coups de midi.

La marche de Storm s'était faite dans un capharnaüm son nom, le peuple lui crachait sa hargne au visage, mais celui-ci était resté impassible. Il ne prononça même pas un dernier mot. Il demanda simplement au bourreau si la lame était bien aiguisée et ce dernier lui assura que le coup serait propre et net. Il tint parole. Sa mort fut rapide, presque trop. Une telle vie réduite en un si bref instant, cela semblait presque faux.

Je savais pour avoir assisté à plusieurs exécutions que le peuple se mettait souvent à chanter une salve pour accompagner l'âme de celui qui venait de trépasser, mais là, tout le monde resta silencieux. Les bruits avaient tous cessé lorsque le bourreau avait levé sa lame, les gens avaient retenu leur souffle et je crois qu'on aurait entendu les battements d'ailes d'un oiseau s'il y en avait eu un. Je pense que comme moi, ils avaient du mal à croire que cela était vraiment fini. Il n'avait fallu qu'un geste, un mouvement savamment maitrisé pour ôter la vie de celui qui était tant redouté. Et le prince déchu n'était plus. Un silence de mort s'installa, il n'y avait pas d'autres mots.

L'exécuteur de la haute justice ramassa la tête de Storm et alla la planter sur une pique pour que tous puissent constater de leurs yeux que l'Infâme n'était plus. Je ne restai pas plus longtemps à regarder ce spectacle morbide et rejoignis avec précipitation le Palais, accompagné de près par Misha. Il fallait que je voie mon cousin. J'espérais que d'être resté 24 heures supplémentaires dans sa cellule l'avait fait réfléchir. Rien n'était moins sûr, mais je ne pouvais pas le laisser là-dedans indéfiniment.

À peine arrivée, je descendis aux cellules. Théo y était seul à présent. Ses anciens compagnons allaient être pendus. Il fallait espérer que toutes ses vies enlevées nettoieraient le royaume de ses mauvais souvenirs.

Théo ne fut pas surpris de me voir. Il se releva aussitôt et attrapa un des barreaux dans sa main.

- Alors tu l'as fait ? me demanda-t-il. Tu l'as exécuté ?

- Oui et je te déconseille de me dire que tu vas prier pour son âme.

- Elle est aux mains d'Inaé maintenant, conclut-il avec une certaine tristesse.

C'était vrai, toutes les âmes rejoignaient le royaume d'Inaé. C'était une de nos croyances et je savais désormais qu'Inaé existait bel et bien. Il habitait dans les terres reculées de la Grand'Astrée, privé à jamais de sa voix, à cause de nos coutumes.

Je hochai la tête en signe d'acquiescement. Peu importait ce que je savais, j'avais été élevé dans le respect de nos croyances et évoquer Inaé entrainait toujours un certain mal à l'aise. Nous restions un instant silencieux.

- Qu'est-ce que tu as vu lorsque tu m'as touché ? demanda soudainement Théo.

L'image de lui assis sur le trône s'imposa de nouveau à moi.

- Qu'est-ce que tu sais de mon pouvoir ? ripostai-je.

- Pas grand-chose, se renfrogna-t-il.

- Précise, exigeai-je.

- Storm m'a expliqué qu'il y avait une communauté à Astrée qui disposait de pouvoirs magiques et que tu avais épousé l'un d'eux. Je ne savais pas alors que toi aussi tu étais capable... enfin... je ne sais pas très bien de quoi tu es capable, mais lorsque j'ai rencontré Indra, il m'a dit que toi aussi tu savais faire des choses surprenantes et qu'en aucun cas je ne devais te laisser me toucher. Il a dit que si cela arrivait, tu saurais tout et qu'il n'y aurait aucun retour en arrière possible. Il m'a donné la pierre que tu m'as arrachée. Il m'a affirmé que c'était la seule chose capable de me protéger de toi et de Yaël.

- Il s'est trompé, affirmai-je avec rudesse, et pour ton information, Indra est mort. Rien ne peut se mettre en travers de la route de mon époux, personne ne peut rien contre lui !

- J'ai cru voir ça. Qu'est-ce qui s'est passé dans la forêt ?

- Un aperçu de la puissance de Yaël. Veille à ne plus le contrarier, je ne pourrais pas toujours épargner ta vie.

- Épargner ma vie ? Ne suis-je pas prisonnier ici sous tes ordres ?

- Tu n'es pas mort, apprécies ce qui s'offre à toi !

Il lâcha le barreau et se rassit. Il semblait réfléchir.

- Toi aussi tu peux tuer des gens comme bon te semble ? m'interrogea-t-il sans me regarder.

- Non, je n'ai pas un pouvoir actif. J'ai des visions.

- Tu peux voir l'avenir ? s'étonna-t-il.

- Oui.

- Qu'est-ce que tu as vu quand tu m'as touché ? me demanda-t-il à nouveau.

J'hésitai, je ne l'avais dit à personne, enfin à part Éléanore, mais je savais que les affaires du royaume de Hululy ne l'intéressaient pas. J'avais envie au fond de moi de lui en parler, mais l'image du Théo à laquelle je me raccrochais n'existait plus vraiment. En un an, nous avions grandi et pris des chemins différents et aujourd'hui, je m'adressai à lui à travers une cage que j'avais moi-même choisi de mettre entre nous. Je ne pouvais pas lui dire.

- J'ai vu que j'étais incapable de te retenir ici et que je te rendais ta liberté, sans avoir à le regretter ! improvisai-je à défaut de mieux.

J'allais chercher les clés dans la pièce attenante et je me décidai à lui ouvrir sa cellule. Je ne l'avais pas anticipé, mais je savais parfaitement au fond de moi que je ne ferais rien à mon cousin. Qu'il s'en aille après tout, qu'il retourne à Azadjan, qu'il fasse ce que bon lui semble. Il n'était pas stupide, il ne pouvait qu'accepter sa défaite. Tenter quoi que ce soit alors que Storm venait de rendre son dernier souffle n'avait aucun sens. Son adoption ne valait rien de la part d'un traître. Il était temps qu'il retourne à sa vie, loin de la capitale. Loin de moi.

La Grand'Astrée. La légende d'Izi et de Yaël - Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant