Chapitre 32

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Comment n'avais-je pas pu le voir ? Pourquoi n'avais-je pas anticipé cette action ?

Tout était définitivement ma faute. Je payais l'ensemble des initiatives que j'avais prises ces dernières heures. Il était maintenant trop tard pour changer quoi que ce soit. J'avais à peine eu le temps de me retourner que la flèche était à mi-parcours. Elle arrivait bien trop vite pour que j'aie le temps de l'esquiver et pourtant c'était comme si je visualisais la scène au ralenti.

Lorsque le carreau d'arbalète ne fut plus qu'à quelques centimètres de moi, qu'il allait me percuter, il s'arrêta néanmoins soudainement. Il se figea dans le vide, là juste devant moi. Je le regardai sans y croire, totalement incrédule. Je vis alors du liquide rouge se mettre à couler de sa pointe. On pouvait presque entendre distinctement les gouttes qui percutaient les dalles de la salle du trône, tant il y avait un silence macabre. Je regardai Stan, perdue, cherchant une explication rationnelle à cette flèche figée dans les airs, mais il était déjà parti à l'assaut des soldats dissidents.

Je restai sans bouger à contempler ce carreau d'arbalète et ce sang qui se répandait de plus en plus sur la pierre blanche, offrant un contraste saisissant. Tous deux n'avaient aucun sens pour moi. C'est le cri de Luka qui me sortit de ma torpeur. Et dans le même temps, le corps de Sara se matérialisa sous mes yeux horrifiés. Elle tomba au sol, son corps laissant apparaître la flèche qui s'y était logée.

- Sara, m'écriai-je en me jetant à ses côtés.

Je fus rapidement rejointe par Luka, mais il était trop tard. Nous ne pouvions plus rien pour elle. Elle s'était sacrifiée pour moi. Elle avait sauvé ma vie en m'offrant la sienne. Encore une innocente morte, par ma faute.

- Je suis désolée, dis-je en retenant un sanglot. Je suis tellement désolée...

Luka prit Sara dans ses bras et la serra contre lui. Je l'entendis lui dire quelques mots sans que j'en comprenne le sens, les larmes affluaient sur son visage, ravagé par la douleur. Il la souleva avec précaution, tout en continuant à lui parler, telle une litanie. Il fit apparaître à l'aide de son pouvoir un lit à baldaquin, avec de belles tentures couleur ocre et dorée, et y plaça Sara avec délicatesse. Il déposa un tendre baiser sur ses lèvres puis il se redressa et les traits de son visage se durcirent aussitôt.

Il fit apparaître dans sa main droite, une longue épée de bonne manufacture, et dans celle de gauche, une petite hache à double tranchant. Balthazar s'agita et se leva enfin du trône pour aller à la rencontre de Luka. Il s'arrêta à quelques mètres de lui, le lit où reposait Sara les séparant.

- Je ne suis dans rien de ce qui vient de se passer, dit-il doucement, mais avec une certaine crainte.

Il leva les mains pour tenter d'apaiser Luka alors que ce dernier serrait si fort ses armes que la jointure de ses doigts blanchit. La situation pouvait dégénérer à tout moment.

- Isabelle ne va nulle part sans nous Balthazar, assura Luka. Emmène-nous à Millie, exigea-t-il.

- Elle doit être seule, c'est la condition.

- Elle ne le sera pas ! Stan et Misha moi l'accompagneront.

- Isabelle a un don passif, elle ne présente pas de danger pour Millie, c'est pour ça qu'elle accepte de la rencontrer afin qu'elles trouvent ensemble une solution pacifique. Eux, ils veulent la condamner. Ils ne peuvent pas venir.

- Isabelle a un don passif, reprit Luka. Si elle ne présente pas de danger pour Millie, vous, vous en représentez un pour elle. Rien ne nous assure de sa sécurité. Elle ne peut pas partir seule et elle ne partira pas sans une escorte.

- Je vais avec elle, s'interposa soudain Stan.

Il avait dû exécuter Gorkheim, mais pour être honnête je n'avais rien suivi de ce combat, trop absorbée par celui qui se jouait entre Luka et Balthazar.

- J'ai un pouvoir défensif, reprit Stan, je ne suis pas un danger pour vous, mais je peux protéger Izi.

- Permets-moi d'en douter Stan, contesta Balthazar. Si Isabelle ne vient pas seule, je n'ai plus rien à faire ici.

Il se dirigea vers la petite pièce, derrière le trône, à l'opposé de nous, et fit mine de partir, mais je l'arrêtai.

- Balthazar ! l'interpellai-je.

Il s'immobilisa aussitôt.

- J'accepte, lui indiquai-je.

Son sourire s'élargit, mais Misha s'interposait déjà.

- Je ne te quitte pas, Izi. J'ai promis à Yaël...

- Yaël saura me retrouver, lui chuchotai-je.

- Pas question, renchérit Stan qui se rapprochait déjà de moi pour me retenir, même si ce contact me procurait une vision.

Il fut toutefois arrêté dans sa course. Balthazar exerça de nouveau son pouvoir et il entrelaça des fils de glace tout autour des pieds de mes alliés, les paralysant et me laissant en revanche à moi toute liberté. J'avançai dès lors dans sa direction, faisant mine de ne pas entendre les injures et menaces de Stan.

Je contournai le lit sur lequel reposait Sara. La glace avait entièrement recouvert son corps d'un léger givre qui donnait l'illusion que des milliers de diamants étaient déposés sur elle. On aurait dit une princesse, comme dans les contes que l'on nous racontait enfant, une de celle où elle pourrait se réveiller à tout moment, sauf que Sara avait cette atroce flèche enfonçait dans sa poitrine.

Je passai devant Luka qui ne tenta rien pour m'arrêter. Peut-être s'était-il rendu à l'évidence contrairement à Stan et Misha qui vociféraient toujours ? Peut-être voulait-il simplement être auprès de Sara ?

- Fais attention à toi, me dit-il simplement avec ce ton qui lui était propre.

Je hochai la tête pour lui confirmer que c'était ce que je comptais faire. J'avançai sans plus hésiter vers Balthazar qui me laissa passer devant lui. Et tous deux, nous nous engouffrâmes dans la petite pièce pour rejoindre l'aile Est et m'enfuir je ne savais où. La seule chose qui comptait, c'était que j'allais revoir mon fils. Je me concentrai sur ce fait, oubliant la douleur de la perte de celle qui fut ma première alliée.

La Grand'Astrée. La légende d'Izi et de Yaël - Tome IIIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant