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CHAPITRE QUATRE

« Je reste plantée là, à fixer cet inconnu, ce SDF devenu fou. »

* * *

Une heure plus tard, je déniche Nathan sur la Promenade, au bord de la rivière. Il est sous le pont Morrison avec quatre autres types. Assis sur un muret en ciment, ils s'abritent de la pluie. L'un d'eux a un skateboard et ils s'en servent à tour de rôle. Ils boivent des whiskys cachées dans des sacs en papier marron.

J'avance lentement, les mains dans les poches de mon manteau, mes cheveux propres et bien arrangés sous mon bonnet. Nathan porte des mitaines et un trench déchiré avec un pull à capuche noir dessus. Il ne me voit pas tout de suite. Il prend le skateboard des mains d'un petit Mexicain et s'élance.

Il dessine des cercles sur le sol, enchaîne quelques virages secs. À un moment, il manque de tomber en arrière. Je les observe à une distance prudente. Ce sont des streeters endurcis. Ils sont flippants. Le Mexicain est le premier à remarquer ma présence :

— Hé, señorita !

Je ne réponds pas. Les autres se mettent à me dévisager, bouche bée. Nathan finit par se retourner. Quand il m'aperçoit, tout le monde se tait. Sans me quitter des yeux, il tend la main vers sa bouteille de whisky, en boit une grande gorgée et la repose sur le muret. Il lâche un rot sonore.

— Ce n'est pas comme ça qu'on dit bonjour a une jolie chica ! Plaisante le Mexicain.

Nathan ne décroche pas un mot. Il me fixe. Il est toujours aussi grand et imposant. Même s'il s'est transformé en squelette ambulant. Il s'avance vers moi. Mon coeur s'arrête, puis repart. J'ai les pieds qui fourmillent tellement j'ai peur. Mais je ne bouge pas d'un pouce.

— Qu'est-ce que tu veux ? Demande-t-il.

—Rien. Je... voulais te voir.

— Pour quoi faire ?

— Comme ça, sans raison.

Il regarde au-dessus de moi pendant un instant, l'air de se demander : « Est-ce que ça vaut la peine de perdre cinq minutes à lui parler ? »

— T'as une clope ?

— Je ne fume pas, tu as oublié ?

Il m'éloigne de ses amis. On traverse une pelouse en direction de Front Avenue. Il s'arrête dans une boutique pour s'acheter des cigarettes mais il n'a qu'un dollar sur lui, alors j'en rajoute quatre de ma poche.

Il prend son paquet et m'entraîne vers un autre square, également couvert. Il semble connaître tous les endroits où on peut se réfugier en cas de pluie. Là, on s'assoit sur un banc et il allume une cigarette de ses doigts noueux et noirs de crasse.

— Je t'ai vue hier avec ton petit copain.

— Ce n'est pas mon petit copain.

Je l'observe pendant qu'il fume. Il est sale, très sale. Aussi sale que n'importe quel sans-abri. Son visage, autrefois si juvénile et insouciant, paraît ravagé. Ses yeux brillent d'une lueur inquiétante — on dirait qu'ils vont s'embraser et brûler comme des torches.

C'est trop pour moi. Je ne peux pas le supporter. Je détourne le regarde.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Demande-t-il sans enthousiasme et en regardant devant lui.

Je hausse les épaules avant de répondre, les yeux braqués au sol :

— Tu n'as pas l'air en super forme.

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant