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CHAPITRE NEUF

« Je n'arrive même plus à le regarder en face. »

* * *

Je passe la quatrième et je m'engage sur l'autoroute à cent trente au volant de la nouvelle BMW de mon père. Je conduis à la même vitesse sur tout le trajet. J'ai gagné une demi-heure sur le temps annoncé lorsque je sors à la pancarte Redland. Il est minuit quinze.

Le GPS me fait descendre la rue principale de la ville et emprunte une portion de route sombre. Enfin, j'arrive à Hungary Bear Saloon, un bar perdu au milieu de nulle part. Une douzaine de voitures et camionnettes sont garées devant. Une enseigne de la marque de bière Pabst Blue Ribbon brille derrière la vitre.

Je ralentis et je m'introduis dans le parking. La pleine lune inonde de sa lumière le gravier poussiéreux. Ma voiture tranche avec les autres véhicules garés autour. Il n'y a que des fourgonnettes plus ou moins défoncées et de vieilles guimbardes. Une Volkswagen est en train de se décomposer sur un terrain vague de l'autre côté de la rue.

Alors que je me lance à la recherche de Nathan, la porte du bar s'ouvre brusquement et un flot d'ivrognes se déverse dehors en riant. Ils défendent les marches en bois en titubant.

Je reste à l'écart et, dès qu'ils sont partis, je continue d'arpenter le parking. Nathan ne donne aucun signe de vie. Je lui avais dit de rester dehors et de m'attendre — est-ce qu'il m'a écoutée ?

Je ne l'ai jamais vu bourré. Je ne sais pas comment il se comporte dans ces cas-là. De quoi est-il capable ? Je n'en ai aucune idée. Je contourne le bâtiment. À l'arrière, je tombe sur une benne à ordures, un évier usé et un tas de canettes vides alignées contre un mur. Je continue mon tour et je découvre un autre parking — désert, à l'exception d'un vieux break garé tout au fond, sous des arbres. Il y deux pneus dégonflés. L'une des portières arrière est entrouverte.

Je m'approche vite, à pas de loups, et j'ouvre la portière en grand. Voilà Nathan, étendu sur la banquette, inconscient. Ses cheveux sont plus longs que dans mes souvenirs et son menton est couvert de poils broussailleux. J'attrape la pointe de sa chausseur dans l'intention de le réveiller, puis je me ravise. Je le fixe, immobile. J'aime ce garçon. Éperdument. Je l'aime plus que tout. Mais que va-t-il lui arriver ?

Des voix distantes s'élèvent au-dessus des bruits de la forêt. Elles proviennent de l'entrée du bar. Un moteur démarre. J'entends quelqu'un manoeuvrer et s'en aller. Et moi ? Suis-je du genre à accourir chaque fois qu'un alcoolisé en détresse m'appelle, et ce jusqu'à la fin de ma vie ? Je ne crois pas.

Cette fois, c'en est peut-être terminé de ma relation avec Nathan. Notre histoire risque de prendre fin ce soir. Il le faut. Pour notre bien à tous les deux.

Soudain, une camionnette vrombit derrière moi. Elle s'apprête à entrer dans le parking. La situation pourrait se compliquer. Je regarde les phares balayer les graviers et la voiture abandonnée avant de m'éblouir.

Je suis repérée. Le véhicule s'approche. Apparement, ses occupants sont curieux de voir de plus près cette fille qui traine sur un parking au beau milieu de la nuit. Je tire sur le pied de Nathan en murmurant :

— Nathan, réveille-toi. Nathan !

Il s'agit d'une camionnette de travail déglinguée, avec de grands compartiments latéraux pour ranger les outils. Elle s'arrête à ma hauteur en soulevant un nuage de poussière. J'aperçois deux hommes dans la cabine.

— Bonsoir, me dit le conducteur.

— Bonsoir, je réponds sans les regarder.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Addiction | réécriture [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant